1778-01-23, de Charles Michel de Villette, marquis Du Plessis-Villette à Jacques Joseph Marie Decroix.

A une rage d'amour pour ma jeune femme a succédé une rage de dents qui m'a ôté jusqu'à la faculté de penser: voilà, monsieur, ce qui m'a empêché de répondre aux témoignages de votre souvenir; nous y avons été bien sensibles belle et bonne et moi.

Je ne sçais, monsieur, ce que vous avés fait à ce grand pontife des muses qui nous a béni? mais il est entré chez mde Denis en chantant vos louanges, et vous sçavés qu'on ne peut pas l'accuser de filantropie, je n'ai donc pas hézité de lui proposer la solution d'un problème qu'il n'appartient qu'à lui de résoudre.

Monsieur Le Marquis De Villette, Monsieur, n'a point vu comme moi le vieux Baron, ni Beaubourg, ni même Dufresne. Ce Dufresne n'avait qu'une belle voix et un beau visage. Beaubourg était un énergumêne. Baron était plein de noblesse, de grâces et de finesse. Le Kain seul a été véritablement tragique.

Mais je dois vous parler de choses plus intéressantes. Je ne puis vous exprimer les obligations que nous vous avons Made Denis et moi. Vous nous envoiez des armes pour nous deffendre contre une troupe de coquins qui sont venus du bout de la Flandre aux portes de Genêve pour nous voler, et pour nous faire un procez ruineux. Je me flatte qu'au moien des pièces que vous avez la bonté de nous faire tenir nous serons enfin délivrés de la véxation de ces scélérats.

J'ai l'honneur d'être avec toute la reconnaissance que je vous dois, Monsieur, Vôtre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire