10 février 1733
A vous, tendre autheur de Zaire,
A vous Le vangeur d'Apollon
Je veux me plaindre et vous instruire
Des attentats commis dans le sacré vallon.
J'ay vu, non sans frémir, prostituer vos Rimes,
J'ay vu de leurs atraits vos Beaux vers dépouillés
En proye à de vils Pantomimes
De farine encor barboüillés. . . .
Dans une antique et sombre salle,
Qui reçut Tabarin et Lulli tour à tour,
Où Pelissier soumit Alcide dans Omphale,
Où Sallé fit ces Pas que luy trace l'Amour,
Où l'on voit àprésent La farce avec scandale
Prester à Melpomene un ridicule atour,
Se rendit en flots l'autre jour
Entrainant mille amans, de ses grâces Parée
La plus admirable assemblée;
Tout en étant plein jusqu'au plafonds,
Après mainte et mainte huée
Très dignement acompagnée
Par quelques maudits violons
Enfin la Toile fut levée;
Aussitost Zaire parut,
Non avec cet air de finesse,
Cette douceur, cette noblesse
Que vostre aimable Gossin eut
Quand sous l'Esclave on aperçut
Que devoit estre une Princesse;
Mais sur la fin de sa grossesse,
Avec un ventre qui déplut,
La plus impudente drôlesse,
D'un corps de garde le rebut.
Le grand Orosmane acourut,
Non cet amant plein de tendresse
Qui veut par sa délicatesse
Amener Zaire à son but,
Non ce Dufresne orné par l'Art et la jeunesse,
Mais un vieux pendart tout en rut,
Qui dans l'accés de son yvresse
Du Cabaret où trop il but
Vient prendre à force la maitresse.
En l'abordant il patina
Devint jaloux et querella,
Menaça, jura, tempesta,
Mais avec si grande rudesse
Que le magistrat présent là
Fut tout prest de fendre la presse
Pour aller mettre le hola. . . .
Par cecy vous jugés du reste.
Le respectable Lusignan
Avec peu de culotte, en veste
En dépit de son air funeste
N'en fit que plus rire à son Dam
En vendant son orviétan.
Chatillon fut celuy qui mouche
Les chandelles du Charlatan,
Malgré son plumet et sa mouche
Et son vermillon de safran.
Le chevalier de Nerestan
Fut reconnu pour Scaramouche.
Ainsy sur d'infâmes tretteaux,
Et trainant vos vers par lambeaux,
Vostre fille charmante indignement traitée,
Zaire fut exécutée,
Et parut mesme aimable au milieu des Bourreaux.
Au surplus les Bons en gémirent,
Et les Beaux yeux qui s'atendrirent,
Faisant trembler plusieurs maris
Par ce doux sentiment permirent
Quelqu'espoir aux amans transis.
Rendons honneur à vos écrits,
Rendons justice à nos Esprits.
Dans la déroute sans pareille
Qui ce spectacle acompagna
Je ne sais quoy de grand perça
Qui charma le coeur et l'oreille,
Le goust du Beau, ce dieu qui veille
Sur les talens, nous éclaira,
Et si l'acteur vous insulta
Comme il fait Racine et Corneille
Le spectateur charmé traita
Zaire comme il fait Cinna.