1768-01-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean François Marmontel.

Il y a longtemps, mon cher confrère, que je connais l'origine de la querelle des conseillers Coré, Dathan et Abiron avec l'Evêque du veau d'or, mais le bon de l'affaire c'est qu'elle fut citée solemnellement à un concile de Rheims à l'occasion d'un procez que les chanoines de Rheims avaient contre la ville.

Où diable avez vous trouvé le livre de Gaumin? Savez vous bien que rien n'est plus râre, et que j'ai été obligé de le faire venir de Hambourg? Je ne suis pas mal fourni de ces drogues là. Il est bien triste qu'on joue encor sur les tretteaux de la Sorbonne tandis que la comédie est déserte. Voilà ce qu'a fait la retraitte de Mlle Clairon. Elle a laissé le champ libre à Riballier et au singe de Nicolé.

J'ai lu hier le Venceslas que vous avez rajeuni. Il me semble que vous avez rendu un très grand service au théâtre. Made Denis est bien sensible à vôtre souvenir, et moi très affligé d'être abandonné tout net par Mr D'Alembert, mais s'il se porte bien, et s'il m'aime toujours un peu, je me console.

Présentez, je vous prie mes respects à Madame De Geoffrin. Elle doit être fort contente des succès du roi son ami. C'est une grande joie dans tout le nord. Le nonce s'est enfui la queue entre les jambes pour l'aller fourer entre le fesses. Il santissimo padre ne sait plus où il en est. Il poura bien à la première sotise qu'il fera perdre la suzeraineté du roiaume de Naples. Le monde se déniaise furieusement; les beaux jours de la friponerie et du fanatisme sont passés.

Mon cher confère, bénissons l'être des êtres, et moquons nous des sots.

V.

Voulez vous bien donner cettre Lettre à mr Saurin.