à Rheims 8 octb. [1749]
J'ay cru pouvoir mes chers anges adoucir un peu mon état en songeant à vous plaire.
J'ay fait copier à Reims Catilina qui étoit trop plein de ratures pour pouvoir vous être montré à Paris. Je ne peux me refuser au petit plaisir de vous dire que j'ay trouvé dans Reims un copiste qui a voulu d'abord lire l'ouvrage avant de se hazarder à le transcrire et voicy ce que mon écrivain m'a envoyé après avoir lu la pièce. Ce n'est pas que je prétende captiver votre suffrage par le sien. Mais vous m'avouerez qu'il est singulier qu'un copiste ait senti si bien, et ait si bien écrit. Monsieur de Pouilli pense comme le copiste mais je ne tiens rien sans vous. Ce mr de Pouilli au reste est peutêtre l'homme de France qui a le plus le vray goust de L'antiquité, il adore Ciceron, et il trouve que je ne l'ay pas mal peint. C'est un homme que vous aimeriez bien, que ce Pouilli, il a votre candeur et il aime les belles lettres comme vous. Il y avoit icy un chanoine qui pour s'être connu en vin avoit gagné un milion, il a mis ce million en bienfaits. Il vient de mourir. Mon Pouilli qui est à Reims ce que vous devriez être à Paris, à la tête de la ville, a fait l'oraison funèbre de ce chanoine qu'il doit prononcer. Je vous assure qu'il a raison d'aimer Cicéron, car il l'imite bien heureusement. Je pars mes adorables anges, car quoy que je déteste Paris je vous aime beaucoup plus que je ne hais cette grande, vilaine, turbulente, frivole, et injuste ville. Je me flatte de retrouver madame Dargental dans une meilleure santé. C'est là l'idée qui m'occupe, et je vous assure que j'ay des remords de n'être pas venu plus tôt. Adieu vous tous qui composez une société si délicieuse.
Vers
A Monsieur de Voltaire
sur sa tragédie de Catilina
Tinois de Reims