1778-01-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Catherine II, czarina of Russia.

Madame,

Je ne saurais rendre trop de grâces à votre majesté impériale, de la lettre qu'elle a daigné m'écrire du 4 décembre 1777.

Les exemplaires que je lui ai envoyés étant partis par les chariots, n'arrivent guère qu'au bout de trois ou quatre mois. Votre renommée va un peu plus vite que nos voitures.

Je fais travailler à force à la traduction de la partie de vos lois dont vous avez daigné me favoriser; et je vous demande la permission de la mettre à vos pieds dès qu'elle sera achevée. Nous donnerons au commencement de l'année prochaine le prix à celui qui aura su le mieux vous imiter de loin, et se traîner sur les traces de votre génie.

Tandis que nous essayons de rendre les hommes moins méchants dans le coin de terre que nous habitons toutes les nouvelles nous disent que les Turcs vont une seconde fois vous forcer à les battre et que vous ne pourrez enfin vous dispenser de faire votre entrée dans Constantinople, où j'avais résolu il y a quelques années de venir faire un petit voyage pour faire ma cour à votre double majesté impériale.

Je suppliera votre majesté de daigner me faire avertir par quel chemin je dois passer, car je suis sûr que vous les aurez tous applanis. Je vous demande encore en grâce de faire votre conquête du Bosphore avant qu'il soit trois ans, car comme j'en ai quatre vingt quatre vous vous feriez conscience de me faire attendre longtemps.

Ces vilains Turcs qui font tant de chicanes à vos vaisseaux de la mer Noire, et qui assassinent des hospodars de Moldavie, ont grand besoin d'être sous vos lois et d'étudier votre code.

Si dans la multitude effroyable des grandes affaires qui vous occupent, et des peuple que vous gouvernez, et des bienfaits que vous répandez, votre majesté daigne encore penser à moi, je mourrai consolé, sans même l'avoir vue sur le trône de Constantin.

Daignez agréer, madame, le profond et inutile respect d'un de vos vrais sujets, nommé le vieux malade de Ferney.