A Paris, ce 17 février 1777
Sire,
…Dans la triste situation où je suis, je m'accroche où je puis pour me soulager, & je pense quelquefois que j'ai du moins le bonheur de ne pas vivre en Espagne, & de n'avoir pas les inquisiteurs à craindre.
Il est en effet bien humiliant pour un souverain, comme le dit v. m., de se mettre ainsi, lui & ses fidèles sujets, à la merci d'un jacobin; oh, que la gent sacerdotale a bien su tout ce qu'elle faisait en instituant la confession! Vivent les princes qui ne se confessent pas!
Voltaire n'a point de vache blanche; mais il a toujours grand peur des gens qui font brûler les vaches. Je le crois cependant un peu plus tranquillisé en ce moment sur cette Bible expliquée & commentée par les aumôniers de v. m., qui n'ont rien de mieux à faire que de commenter la Bible pour d'autres, puisque v. m. ne juge pas à propos de se la faire expliquer par eux. Mais j'apprends qu'il y a en effet un autre objet dont il est en ce moment très affligé, c'est que son établissement de Ferney lui devient très à charge par le peu de secours qu'il trouve pour l'entretenir, depuis que mr Turgot n'est plus en place; il écrit à v. m. qu'il est ruiné; cela n'est pas tout à fait vrai, & il fait tant de bien à ses malheureux vassaux, que je serais très fâché que cela fût; mais il est vrai que plusieurs grands seigneurs sur lesquels il a des rentes, ne jugent pas à propos de le payer, par exemple mgr le duc de Bouillon, mgr le maréchal de Richelieu, & avant tout, mgr le duc de Wurtemberg. Il n'y a pas, dit on, jusqu'à un fermier général qui ne se donne aussi les airs de faire banqueroute à ce pauvre vieillard, & de suivre les traces des Wurtemberg, des Bouillon & des Richelieu. Oh, que v. m. a bien raison sur les maux de toute espèce dont est semée notre malheureuse carrière, & sur le bon sens de ces peuples d'Afrique, qui pleuraient la naissance des enfants, & non pas leur mort! Tout ce que la philosophie peut nous dire pour nous consoler, c'est que ces maux finiront, & qu' il vaut mieux, comme on dit, tard que jamais. J'espère au moins, sire, que mes maux ne finiront pas sans avoir été adoucis par le bien que j'espère, celui de faire encore une fois ma cour à v. m., & de lui renouveler tous les témoignages de la tendre vénération avec laquelle je serai jusqu'à la fin de ma vie &c.