8e Xbre 1776
C'est à vôtre Lettre du 30e 9bre, mon très cher philosophe, que je réponds aujourd'hui, et nous ne nous croiserons plus.
Je vous remercie de vôtre bonne volonté pour l'aprentif prêtre et aprentif Evêque d'Espagnac. J'ai quelque lieu d'espérer qu'un jour il sera un prélat assez philosophe. Vous pouvez lui confier St Louis pour l'année 1778. Je crois qu'il a trop d'esprit pour justifier les croisades devant L'académie. Il me semble qu'il avait parlé de la philosophe de Catinat avec effusion de cœur.
Luc est un singulier corps. Profitez de l'extrême [env]ie qu'il a de vous plaire. Il serait homme à faire [co]mme Hume, si on avait le malheur de le perdre.
Le secrétaire juif nommé Guénée n'est pas sans esprit et sans connaissances, mais il est malin comme un singe, il mord jusqu'au sang en fesant semblant de baiser la main. Il sera mordu de même. Heureusement un prêtre de la rue St Jaques, desservant d'une chapelle à Versailles, qui se fait secrétaire des juifs, ressemble assez à l'aumônier Poussatin du Comte de Grammont. Tout celà fait rire le petit nombre de lecteurs qui peut s'amuser de ces sottises.
Savez vous bien que nos ennemis sont déchainés contre nous d'un bout de l'univers à l'autre? Connaissez vous le jésuite Ko, résident actuellement à Pekin? C'est un petit Chinois, enfant trouvé, que les jésuites amenèrent il y a environ vingt cinq ans à Paris. Il a de l'esprit, il parle français mieux que chinois, et il est plus fanatique que tous les missionnaires ensemble. Il prétend qu'il a vu beaucoup de philosophes à Paris, et dit qu'il ne les aime, ni ne les estime, ni ne les craint. Et où dit-il celà? Dans un gros livre dédié à Monseigneur Bertin. Il parait persuadé que Noé est le fondateur de la Ch[ine. Tout] celà est plus dangereux qu'on ne pense. Son [livre, imprimé] à Paris chez Nyon, ne peut être connu de m[on grand] poëte Kinlong, Empereur de la Chine; et il est difficile de l'en instruire. Les jésuites qu'il a eu la bonté de conserver à Pekin sont plus convertisseurs que matématiciens. Ils aiment à travailler de leur métier. Il ne faut que deux ou trois têtes chaudes pour troubler tout un Empire. Il serait assez plaisant d'empêcher ces marauts là de faire du mal à la Chine. On pourait y parvenir par le moien de la cour de Petersbourg, mais commençons par songer à Paris.
Raton se jette en mourant entre les bras de Bertrand.
V.