1763-01-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Pierre Pictet.

Que voulez vous que je vous mande, mon cher géant, que j'ai soixante et dix ans, ou peu s'en faut? que je suis accablé de maladies et de neiges! ne sçavez vous pas tout celà? ne sçavez vous pas que je vous aime, et que je vous regrette? et madlle Catau ne vous l'a t'elle pas dit? ne vous ai-je pas envoyé le droit du seigneur par elle? c'est à vous d'écrire, s'il vous plait, à vous qui êtes dans la Cour la plus brillante de L'Europe, qui vous portez bien, et qui n'avez que des choses agréables à mander.

Il y a des gens qui trouvent icy fort mauvais que vous n'alliez point à la Chine. Ils disent que vous manquez la plus belle occasion du monde de voir le païs de Confucius, et que vous leur raporteriez des magots à vôtre retour. Je ne pense point du tout comme ces messieurs là, et je donne, sans contredit, la préference à l'Impératrice de Russie sur l'Empereur de la Chine. Je parie que ses yeux à la chinoise, ne valent pas ceux de l'auguste Catherine, qu'il n'a ni son esprit, ni sa grandeur d'âme, ni ses grâces. Je parie encor qu'il n'y a point encor de Lettré à Pekin, qui approche de Mr De Shovaloff.

J'ai vu en ma vie des Russes et des Chinois, et j'ai trouvé les Russes beaucoup plus aimables. Adieu mon cher géant, il n'y a pas d'apparence que je vous revoye, mais je vous aimerai tant que je vivrai.

V.