1762-03-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Pierre Pictet.

Mon cher géant je suis très édifié que vous vouliez bien vous ressouvenir de moy au milieu de vos belles neiges, et que le voisinage du cercle polaire n'ait pas refroidi votre amitié.
Vos compatriotes célèbrent comme vous les louanges de votre nouvel Empereur: la plus grande louange qu'on puisse donner à un souverain tout puissant est celle d'être aimé d'un peuple libre. Nous espérons que ce prince nous donnera la paix, et que La Russie deviendra la bienfaictrice de L'Europe. En attendant nous en goûtons les fruits par avance dans notre petit châtau de Ferney. Nous y jouons des pièces nouvelles sur un assez joli téâtre; nous donnons le bal à vos dames, et nous vous regrettons au milieu de nos plaisirs. J'ay dit aux Crammer que leur liste devait s'honorer du nom de Stroganof pour trois exemplaires. A L'égard de Mr le chambélan J van de Shouvalof je luy ay écrit trois lettres, et il y en avait une toutte entière à votre honneur et gloire. Il ne m'a fait réponse ny sur vous, ny sur le second volume de Pierre le grand qu'il avait tant à coeur ny sur les compliments que je luy ay faits. Vous voyez que je ne suis pas vain, et que je conviens très naivement du peu de cas qu'on fait des seigneurs de Ferney à la cour de Russie. Si vous voyez monsieur de Shouvalou je vous prie de luy dire que je n'ay point de rancune. Toutte la trouppe du châtau vous embrasse de tout son cœur.