18e 9bre 1776
Mon très cher philosophe, on m'engage à vous prier de faire donner à Mr L'abbé d'Espagnac la charge de panégiriste de St Louis pour l'année prochaine.
Si vous le pouvez vous ferez une bonne action dont je vous serai très obligé. S'il est vrai que vous soiez déjà engagé avec un autre concurrent je retiens place pour l'année suivante. Ce jeune abbé D'Espagnac a eu les honneurs d'accessit à l'apothéose du maréchal de Catinat. Il a beaucoup d'esprit, il est né éloquent, car à mon avis il faut naître éloquent comme naître poëte. Son père est un homme d'un rare mérite; il est deplus neveu d'un conseiller de grand-chambre qui rabat quelquefois les coups que le fanatisme porte à cette philosophie tant persécutée.
Raton joue actuellement avec la souris nommée Guenée, mais ses pattes sont bien faibles. Je ne sais si ce combat du chat et du rat d'église poura amuser les spectateurs; le parti du rat est bien fort, il est toujours prêt à étrangler Raton, et on viendrait le prendre dans sa chatière si on ne disait pas quelquefois que ce n'est pas la peine, et que Raton est mort, ou autant vaut.
J'ai lu les deux lettres bien étonnantes que vous avez reçues d'un grand Roi, plus étonnant encor. Le petit billet du marquis de Condorcet à Mr de Laharpe, rend la philosophie bien respectable. Je ne sçais point de plus belle époque pour elle. Envérité, il n'y a rien audessus de la considération dont vous jouïssez. C'est là ce qui doit faire frémir le fanatisme; il est écrasé sous vôtre char de triomphe.
Une autre gloire pour la philosophie c'est que Mr De Condorcet parait tranquile dans les révolutions ministériales. Je voudrais bien savoir de vous ce qu'il fait et ce qu'il pense.
Je voudrais bien encor que Mr De Vaines restât en place. Je voudrai bien aussi que vous me mandassiez vôtre avis sur tout celà, si vous avez un moment de loisir. Les pattes de Raton se raniment un moment pour vous embrasser le plus tendrement du monde.
V.