12e février 1773
Monsieur Bertrand dans un très éloquent discours parle de sa tombe; c’est de trop bonne heure; il m’a volé mon sujet, car je suis attaqué actuellement d’une strangurie violente qui pourait bien mettre fin à tous mes tours de chat, tandis que vous ferez encor longtemps vos très beaux tours de singe.
On nous annonce que Fréron vient de mourir. C’est une terrible perte pour les belles lettres et pour la probité. On dit que tous les écrivains des charniers, et Clément à la tête, se disputent cette belle place. Elle n’en était point une, elle l’est devenue. La méchanceté l’a rendue très lucrative. J’imagine qu’il ne serait pas mal qu’on prévint M. le chancelier. Il ne voudra pas déshonorer à ce point la littérature. Je n’ose lui en écrire parce que je l’ai déjà importuné au sujet de cette infâme édition du Libraire Valade. Les gens en place n’aiment pas qu’on les fatigue.
L’étoile du nord n’est pas de ce caractère; vous demandez si bien et si noblement, que probablement vous ne serez pas refusé deux fois.
Vous croiez bien que j’ai vanté à cette étoile la noblesse de vôtre âme et de vôtre procédé; j’avais bien beau jeu; et vous savez bien encor qu’elle n’a pas besoin qu’on lui fasse sentir tout ce qu’il y a de grand dans une telle démarche.
Raton a un extrême besoin de savoir si Bertrand a reçu trois petits sacs de marons, l’un venant de la cuisine de Marin, l’autre des offices de Mr D’Ogni, et le troisième de la buvette de Mr le Procureur général. On en fait cuire de nouveaux sous la braise.
Je vous avais demandé si on pouvait avoir une adresse sûre pour Mr de Condorcet; celà était nécessaire; mais ce qui est beaucoup plus nécessaire encor c’est que ce pauvre Raton ne soit pas nommé. Vous ne sauriez croire à quel point ses pattes sentent le brûlé. Il est bien triste que ces deux bonnes gens ne puissent se trouver ensemble et rire à leur aise du genre humain.
Raton