5 mars [1774]
Oui vraiment monsieur Bertrand, ce que vous dites là m’amuserait fort, mais croiez vous que j’aye encore des pattes? pensez vous que ces marons puissent se tirer gaiment?
Si on n’amuse pas les Welches, on ne tient rien. Voiez ce Beaumarchais. Il a fait rire dans une affaire sérieuse, et il a eü tout le monde pour lui. Je suis d’ailleurs pieusement occupé d’un ouvrage plus universel. Vous ne me proposez que de battre un parti de houzards, quand il faut combattre des armées entières. N’importe, il n’y a rien que le pauvre Raton ne fasse pour son cher Bertrand.
Je m’arrête, je songe; et après avoir révé je crois que ce n’est pas icy le domaine du comique et du ridicule; tout welches que sont les Welches, il y a parmi eux des gens raisonables, et c’est à eux qu’il faut parler sans plaisanterie, et sans humeur. Je vais voir quelle tournure on peut donner à cette affaire, et je vous en rendrai compte. Il faudra s’il vous plaît que vous m’aidiez un peu, nihil sine Theseo.
Vous n’aurez qu’à envoier vos instructions chez Monsieur Bacon, substitut de M. le procureur général, place Roiale. Elles me parviendront sûrement. I serait plus convenable que nous nous vissions, mais il est plus plaisant que Jean Jaques soit chez moy, et que je sois chez lui.
Je me sers aujourdui de mon ancienne adresse. Ayez la bonté de me dire si vous avez reçu le fatras de l’Inde que j’envoye par le même canal avec cette lettre.
On me mande de Rome que Mr Tanucci n’a point encor vendu Benevent à St Pierre, et je n’entends point dire qu’il soit en possession d’Avignon. Touttes les affaires sont longues, surtout quand il s’agit de rendre.
Catau n’est point du tout embarassée du nouvau mari qui se présente dans la province d’Orembour. Elle m’a écrit une lettre assez plaisante sur cette apparition. Elle passe sa vie avec Diderot, elle en est enchantée. Je crois pourtant qu’il va revenir, et que vous avez très bien fait de ne point passer dix ans dans un climat si dur, avec votre santé délicate. Je vous aime mieux à Paris que partout ailleurs. Adieu mon très cher maître, ne m’oubliez pas auprès de votre ami Mr de Condorcet.
Encor un mot. Je ne suis point surpris de ce que vous me mandez d’un archevêque qui a fait mourir de chagrin ce pauvre abbé Audra.
Encor un autre mot. Voicy l’esquisse de la lettre que vous demandez, tâchez de me la renvoier contresignée et voiez si on en peut faire quelque chose.
Et puis un autre mot. Vous n’aurez point l’Inde cet ordinaire.
Pour dernier mot écrivez moi par m. Bacon.