8e 9bre 1776
Vous ne vous vantez pas des faveurs de vôtre maitresse, mais elle s'en vante.
Le roi de Prusse, mon cher philosophe, m'a envoié la belle épitre qu'il vous a adressée. Je suis malgré vous le confident de vos amours; c'est le seul rôle que je puisse jouer à mon âge. Ce redoublement de coquetterie entre vous et Federic me fait juger que vous l'irez voir au printems comme vous me l'avez mandé. J'espère, si je suis en vie, que Ferney sera une de vos auberges dans vôtre voiage, mais je ne vous réponds pas que ma vieille et frêle machine puisse Durer jusqu'au printems. Qui sera nôtre secrétaire pendant vôtre absence? Il eût été bien nécessaire que Mr De Condorcet fût des nôtres. Je me flatte que si je meurs cet hiver j'aurai le plaisir de le voir remplir ma place. Je veux même croire que la noble liberté avec laquelle il a écrit ne lui fermerait pas la porte de l'académie.
Raton vous prie encor une fois de lui faire savoir le nom de ce docte janséniste qui a fait imprimer chez Moutard trois scientifiques volumes contre lui, sous le nom de six juifs. Il me traitte comme Antiochus, il me donne six Maccabées à combattre. Mr de Laharpe, qui a fait un petit extrait, ou plutôt, qui a donné une simple notice de son livre, doit savoir le nom de l'auteur. Parlez en, je vous en prie, à Mr de Laharpe. Il est bon de savoir à qui l'on a à faire.
Je suis fâché que Mr De Vaines quitte sa place. C'est une très belle action si elle est absolument volontaire; mais elle me parait triste pour la littérature. Restez nous fidèle, mon cher ami.
Souvenez vous au printems que Ferney est sur vôtre route. Raton vous embrasse bien tendrement de ses pauves pattes.