1773-02-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Le Rond d'Alembert.

Raton a donné tout ce qu’il avait de marons, et on n’en fera plus rôtir que dans une assez grande poële, où l’on fait cuire, dit-on, des choses de plus haut goût.
Mais Raton n’a pas à présent envie de rire. Il est attaqué depuis quinze jours d’une strangurie avec la fièvre et tous les ornements possibles qui décorent les gens dans cet état. Il est très affligé de l’avanture de la Lettre lue si indiscrètement devant Madlle Rocour. Il faut rendre justice; celui à qui cette malheureuse Lettre était écrite, la donnait à lire ne se souvenant plus de ce qu’elle contenait. Quand on fut à cet article fatal du pucelage, il voulut faire arrêter, mais il n’en était plus temps; il me le manda lui même avec candeur. Je lui ai fourni un moien de réparer sa faute; je ne sais si la multitude de ses occupations et de ses voiages lui en aura laissé le temps.

Je suis bien embarassé; c’est une chose respectable qu’un attachement de plus de cinquante années qui n’a jamais été refroidi un moment. Je lui dédiais même la véritable Tragédie des loix de Minos. Il était fait, sans doute, pour être le soutien des Lettres; son nom seul, et sa qualité de Doyen de l’académie semblaient l’y engager. Que voulez vous! Il faut prendre ses amis avec leur défauts. Ce n’est pas ainsi que je vous aime.

Bon soir; je crois dieu me pardonne, que je me meurs véritablement. Je n’ai pas la force de répondre à Mr De Condorcet, mais je suis enchanté d’une Lettre charmante qu’il m’a écrite.

Raton couché dans son trou