1751-03-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Claude Étienne Darget.
Tout mon corps est en désarroi;
Cul, tête et ventre sont, chez moi,
Fort indignes de notre maître.
Un cœur me reste; il est peut-être
Moins indigne de ce grand roi.
C'est un tribut que je luis dois;
Mais, hélas! il n'en a que faire.
Fatigué de vœux empressés,
Il peut croire que c'est assez
D'être bienfaisant et de plaire.
Né pour le grand art de charmer,
Pour la guerre et la politique
Il est trop grand, trop héroïque,
Et trop aimable pour aimer;
Tant pis pour mes flammes secrètes,
J'ose aimer le premier des rois;
Je crains de vivre sous les lois
De la première des coquettes.
Du moins, pour prix de mes désirs,
J'entendrai sa docte harmonie,
Ces vers qui feraient mon envie,
S'ils ne faisaient pas mes plaisirs.
Adieu, monsieur son secrétaire;
Soyez toujours mon tendre appui;
Si Frédéric ne m'aimait guère,
Songez que vous payerez pour lui.

Bonsoir; pardon de mes coquetteries. J'ai été bien malade; cela ne m'empêchera pas de vous revoir demain. Je vous embrasse du meilleur de mon cœur.