1773-02-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Françoise Marie Antoinette Josèphe Saucerotte.
Raucour, tes talents enchanteurs,
Chaque jour, te font des conquêtes;
Tu fais soupirer tous les cœurs,
Tu fais tourner toutes les têtes:
Tu joins au prestige de l’art
Le charme heureux de la nature;
Et la victoire toujours sûre
Se range sous ton étendard.
Es tu Didon? es tu Monime?
Avec toi nous versons des pleurs;
Nous gémissons de tes malheurs,
Et du sort cruel qui t’opprime.
L’art d’attendrir & de charmer
A paré ta brillante aurore;
Mais ton cœur est fait pour aimer,
Et ton cœur n’a rien dit encore.
Défends ce cœur des vains désirs
De richesse & de renommée;
L’amour seul donne les plaisirs,
Et le plaisir est d’être aimée.
Déjà l’amour brille en tes yeux;
Il naîtra bientôt dans ton âme;
Bientôt un mortel amoureux
Te fera partager sa flamme.
Heureux! trop heureux cet amant
Pour qui ton cœur deviendra tendre,
Si tu goûtes le sentiment,
Comme tu sais si bien le rendre!

Voilà, mademoiselle, le tribut que vous offre ma muse: un bon vieillard, dont l’âge s’écrit par quatre & par vingt, n’a que de mauvais vers à vous présenter. Il y avait bien longtemps que je n’avais ressenti au spectacle les douces émotions que vous inspirez si bien; je me ressouvenais à peine d’avoir versé des larmes de sentiment: en un mot, j’étais le vieil Eson, & vous êtes l’enchanteresse Médée. Je ne vous répéterai pas tous les éloges que vous méritez; ils sont gravés dans mon esprit & dans mon cœur. Quand on réunit, comme vous, tous les suffrages, ceux d’un particulier deviennent moins flatteurs; mais à mon âge, on entre dans la classe des hommes rares. Si j’étais à vingt ans; si j’avais un corps, une fortune, & surtout un cœur digne de vous, vous auriez l’hommage; mais j’ai tout perdu; il me reste à peine des yeux pour vous voir, une âme pour vous admirer, & une main pour vous l’écrire.