à Paris ce 16 juin 1764
Quand je vous offre cet ouvrageCe n'est point un tribut d'auteur:
Payer le droit de vasselage,
En tel cas, seroit un honneur;
Mais pour moi ce seroit folië.
Un petit prince d'Italië
Enverroit il au grand seigneur
Des présents? un ambassadeur?
Non; ne pensez pas que j'oublië
L'offrande que je vais porter
Et l'autel où je sacrifië.
J'ose en secret me présenter,
Tout bas je me nomme, et j'espère
Vous intéresser et vous plaire.
Le sentiment qui me conduit
Ne peut me rendre téméraire:
Ce grand, ce sublime Voltaire
N'aimeroit il donc que L'esprit?
Le goût, le génië et les grâces,
Sont ils seuls Les dons précieux
Qu'en naissant il reçut des dieux?
De ces dieux dont il suit les traces,
De ces dieux qu'il peint ici bas?
Le soutien du sang des Corneilles,
Et le protecteur des Calas,
Nous offre bien d'autres merveilles.
Sensible, il aime à s'attendrir.
Mon premier, mon plus cher désir,
C'est qu'il reconnoisse la flamme
Qu'il a fait passer dans mon âme.
Il m'inspira l'humanité,
L'amour vif de la vérité,
Des vertus, de la bienfaisance.
Voltaire, dans tous vos trésors,
Le plaisir, sans soins, sans éfforts,
M'a fait puiser dés mon enfance.
Je viens vous rendre vôtre bien;
Je tiens à vous par ce lien;
Mais je n'ai pas vôtre éloquence.
Enfin, je n'ai parlé qu'au cœur;
Malgré le divin assemblage
De vos talents, c'est le langage
Qui vous paroîtra le meilleur.
Permettés, Monsieur, qu'en prose ainsi qu'en vers je vous présente mon hommage. Je partage avec mon mari toute la reconnoissance qu'il vous doit, daignez en recevoir les assurances.
J'ai l'honneur d'être avec bien du respect,
Monsieur,
Vôtre très humble et très obéïssante servante
Morin Beaumont