1764-03-15, de Gabriel de Seigneux, seigneur de Correvon à Voltaire [François Marie Arouet].

 . . .Comparés je vous prie aux miséres et aux lieux Communs de l'Intolérantisme ce beau morçeau d'un Discours de Raphaël Leszczinski, père du trisayeul du Roi Stanislas dans une Diete de Pologne, contre les Evèques de ce Royaume qui persécutaient et condamnaient à mort ceux qui embrassaient le naissant Luthéranisme.

'C'est par leur inapplication et leurs mauvais Exemples que la Religion s'est affaiblie, que le Culte est dégénéré, que la pureté de la foi a été souillée de superstitutions qui l'ont fait méconnaître. De là [ajoute t'il] l'horreur qu'ils ont de tous ceux qui remontant aux premiers siècles de l'Eglise, y sont allés puiser la Connaissance et la pratique de ses loix. Delà ces proscriptions, ces meurtres, ces assassinats, ce droit de vie et de mort qu'ils arrogent sur des citoÿens Libres, qui ne les ont offensés, que parce que, les refusant pour guides, ils craignent de s'égarer avec eux.'

Je ne sçais ce qu'un Réformateur a pû dire de plus fort, et c'est pourtant ce que disait au milieu d'une Nation bigotte, et d'une Diette éclairée mais zélée Catholique, un des premiers palatins de ce Royaume, comme je le lisais, il y a peu de jours dans la préface des Œuvres du philosophe bienfaisant, votre cher et respectable ami le Roi Stanislas.

Une autre absurdité toute récente qu'on voit à Paris et qu'on ne devrait pas voir dans un siècle où ce qui est évidemment faux ne devrait pas oser se montrer, c'est l'ouvrage posthume de l'Abbé de Lignac, antagoniste de Mr de Buffon, dans lequel il veut prouver par la philosophie et par la Théologie la possibilité de la présence d'un Corps en plusieurs lieux à la fois (et pour nous convertir) [ajoute le Nouvelliste] il trouvait que l'on fit fort bien d'expulser les pasteurs pp. et de forcer les enfans d'assister aux instructions Catoliques; afin, dit il, qu'ils pussent examiner une Religion dont ceux là leur dérobaient la conoissance, ce dont ils furent justement punis.

Que dites vous Monsieur d'un pareil philosophe, et d'un tel convertisseur? fera t'il à vos avis des prosélytes ailleurs que dans les petites Maisons? Je vais finir, parce qu'ainsi le veut un Rhûme impérieux qui se révolte contre mes Ecritures. Demain peutêtre si je puis j'achéverai de vous débiter quelques nouvelles très récentes sur ce qui se passe au sujet du Molinisme qui se débat dans ses liens.

Peut être vous a t-on compté une avanture horrible arrivée à Douai que l'on m'écrit de Paris, et qui dans une Eglise doit avoir coûté la vie à 18 personnes et des blessures à 30 autres: mais j'aime mieux vous dire que votre belle Zaïre reparut avant hier avec tout son éclat sur le Théâtre de Monrepos. Vos chers enfans à ce qu'on m'assure y firent merveilles. Le Prince sans être pleureur y pleura, et ce sont là des Larmes qui signifient. Bien d'autres personnes de goût s'attendrirent. Des connoisseurs protestent qu'il n'y a peutêtre pas en Europe, [hors votre sale de spectacle] un plus Elégant Théâtre de particulier. A la répétition qui précéda où il n'y avait presque que des Domestiques, et des femmes de chambre, on m'assura que ces auditeurs applaudissaient si juste que cela ressemblait au peuple d'Athênes. — Que j'ai regret de m'être trouvé malade.

Agrées Monsieur le respectueux dévouement de

Votre très humble et très obéist serviz

Seigneux de Correvon