22 avril 1776
Mais vraiment, vous parlez à un malade de 83 ans comme s'il était de votre espèce, comme s'il était toujours jeune, comme s'il vivait dans le grand monde, comme s'il pouvait vous amuser dans vos moments perdus.
Pensez vous d'ailleurs que je sois grand maître des postes? J'avais envoyé par mr de Sartines à mr d'Argental les insipides rogatons dont vous me parlez, et mr d'Argental ne les a point reçus. On ne sait plus ni à quel ministre on peut s'adresser pour faire passer un livre, ni à quel saint il faut se vouer pour le faire. Trouvez moi donc une adresse sûre, et je vous ferai tenir tout ce que vous me demanderez; mais je ne vous enverrai rien de mieux que votre épitaphe de l'ami Fréron.
Savez vous que j'ai reçu une lettre très tendre d'une dame qui est sûrement parente de Fréron, si elle n'est pas sa veuve? Elle m'avoue que ce pauvre diable est mort banqueroutier, et elle me conjure de marier sa fille, par la raison, dit elle, que j'ai marié la petite-fille de Corneille. Elle me propose le curé de la Magdeleine pour l'entremetteur de cette affaire. J'ai répondu que si Fréron a fait le Cid et Cinna, je marierai sa fille sans difficulté.
Mes maladies me condamnent à vivre absolument dans la solitude, mais si quelque voyageur passe vers ma caverne en allant à Paris, je vous enverrai beaucoup de sottises. Pour madame Denis, elle ne vous enverra rien, car elle n'écrit à personne.
Conservez toujours vos bontés pour le vieux malade.
V.