au château de Ferney, pays de Gex, par Geneve, 5 novembre 1760
Je vous ferais, monsieur, attendre ma réponse quatre mois au moins, si je prétendais la faire en aussi beaux vers que les vôtres.
Il faut me borner à vous dire en prose combien j'aime votre ode & votre proposition. Il convient assez qu'un vieux soldat du grand Corneille tâche d'être utile à la petite-fille de son général. Quand on bâtit des châteaux & des églises, & qu'on a des parents pauvres à soutenir, il ne reste guère de quoi faire ce qu'on voudrait pour une personne qui ne doit être secourue que par les plus grands du royaume.
Je suis vieux, j'ai une nièce qui aime tous les beaux arts & qui réussit dans quelques uns; si la personne dont vous me parlez, & que vous connaissez sans doute, voulait accepter auprès de ma nièce l'éducation la plus honnête, elle en auroit soin comme de sa fille; je chercherais à lui servir de père. Le sien n'aurait absolument rien à dépenser pour elle. On lui payerait son voyage jusqu'à Lyon. Elle serait adressée à Lyon à monsieur Tronchin, qui lui fournirait une voiture jusqu'à mon château, ou bien une femme irait la prendre dans mon équipage. Si cela convient, je suis à ses ordres, & j'espère avoir à vous remercier jusqu'au dernier jour de ma vie de m'avoir procuré l'honneur de faire ce que devait faire m. de Fontenelle. Une partie de l'éducation de cette demoiselle serait de nous voir jouer quelquefois les pièces de son grand-père, & nous lui ferions broder les sujets de Cinna & du Cid.
J'ai l'honneur d'être, avec toute l'estime & tous les sentiments que je vous dois,
monsieur,
votre très humble & très obéissant serviteur,
Voltaire