à Ferney 27e Mars 1776
Monseigneur,
En conséquence de la Lettre dont Vôtre Altesse Sérénissime m'a honoré, j'ai fait des Lettres de change de vingt un mille Livres chacune, pour le premier juin, premier Septembre, premier Décembre de cette année, et ainsi de suitte, pour donner à vôtre chambre de Montbelliard le temps de s'arranger.
Elle m'a mandé n'avoir point encor reçu d'ordre de Vôtre Altesse Sérénissime. Les entrepreneus de ma Colonie se trouvent ruinés et moi avec eux, si mes Lettres ne sont pas acquittées. Je vous suplie très instamment, Monseigneur, de vouloir bien ordonner qu'on fournisse à la Régence de Montbelliard de quoi remplir ses engagements, aumoins au 1er Juin et au 1er Septembre. On verra ensuite quel parti on poura prendre avec elle, pour ne la point gêner. Mais il est indispensable qu'elle paie vingt et un mille Livres le premier Juin, et vingt et un mille le premier septembre, indépendamment de ce qu'elle me doit d'ailleurs de ses anciens arrangements. J'attends cette justice de vôtre bonté. Je vous prie de considérer quelles tristes suittes des Lettres de change non acquittées entrainent. Plus de vingt familles seraient à la mendicité. Je dois prévenir un tel désastre à mon âge de quatre vingt trois ans. Vôtre Altesse Sérénissime ne souffrira pas que je meure banqueroutier. Vous avez trop d'équité et de grandeur d'âme. Il ne s'agit que d'ordonner qu'on fournisse cette Somme modique cette année à la Régence de Montbelliard, pour le tems prescrit; après quoi je tâcherai d'obtenir de mes créanciers qu'ils ne me poursuivent pas pour le reste.
Je vous conjure encor une fois de me faire cette grâce, et de me tirer de l'état cruel où je me trouve.
Je suis avec un profond respect
Monseigneur
De Vôtre Altesse sérénissime
Le très humble et très obéissant serviteur
Voltaire