30 janvier 1775, à Ferney par Genève
Monsieur,
J'eus l'honneur de vous écrire au commencement de cette année.
Je pris cette occasion pour vous représenter que le sr Rosé, receveur, me devait deux termes à la fin de l'année 1774.
Je vous priai de vouloir bien faire un arrangement avec moi conforme aux volontés de son altesse sérénissime, et à vos engagements pour me payer par quartiers les soixante et quatorze mille livres, ou environ, que vous me devez par acte passé devant notaire, indépendamment du courant.
Je vous supplie de vous souvenir que vous m'aviez envoyé m. Jeanmaire, conseiller et trésorier (si je ne me trompe) de la régence de Montbelliard, chargé de la procuration de m. le duc son maître;
qu'on ne pourrait emprunter d'argent dans ce temps là à Genève, qu'à dix pour cent, avec caution;
que je le tirai de ce précipice en lui prêtant à quatre pour cent, uniquement pour montrer mon dévouement à son altesse sérénissime.
Elle fut si contente de ma conduite et de mon désintéressement qu'elle daigna me témoigner sa gratitude par une lettre qui m'est bien chère.
Ma fortune ayant été très diminuée depuis ce temps là par l'établissement que j'ai fait d'une colonie dans mes déserts; forcé de payer les dépenses énormes que cette colonie m'a coûtées, j'ai eu recours à votre équité et j'attends tout de la générosité de monseigneur le duc.
J'ai quatre vingt et un ans, et je me flatte qu'il ne me laissera pas mourir insolvable. Si les fonds de Montbelliard ne suffisent pas pour me payer ce qui m'est dû actuellement, je suis persuadé que monseigneur le duc ordonnera un supplément sur les finances de son duché. Je lui demande cette grâce, et je l'espère de vos représentations.
Vous ne m'avez point fait de réponse sur la lettre que je vous ai écrite le 1r janvier; je veux espérer que vous répondrez à celle ci.
Vous savez les clauses que notre acte contient.
J'ai l'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois
monsieur
votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire
Je reçois en ce moment une lettre de mr Rosé, par laquelle il m'annonce qu'il ne peut pas me payer. Jugez, messieurs, de l'état cruel où vous réduisez un homme de quatre vingt et un ans, qui s'est chargé de dettes pour vous faire plaisir et qui est près de mourir sans pouvoir satisfaire ses créanciers.