à Paris ce 18 [August 1775]
Mr François de Neufchâteau, que je ne connoissois pas, vint hier chez moi, mon cher et illustre ami; il me parut indigné de cette infamie que l'ombre de la Beaumelle menée par le squelette de Fréron, vient de publier contre la Henriade, et il me dit qu'il avoit fait un mémoire où il rendoit plainte contre cette atrocité, que je ne connois que parcequ'il m'en a dit; car je fais justice de ces rapsodies en n'en lisant jamais aucune.
Il m'a dit vous avoir écrit pour vous prier de l'autoriser à poursuivre cette canaille morte & vivante, & m'a prié de vous en écrire aussi. J'ai fort applaudi à l'honnêteté & au zèle de ce jeune homme, & je lui ai répondu de votre reconnoissance et de celle de tous les gens de lettres dignes de porter ce nom. Il seroit temps, ce me semble, qu'on fit justice de pareils marauds. A quoi serviroit il d'avoir tant d'honnêtes gens dans le ministère, si les gredins triomphoient encore? Mr de Neufchâteau attend, mon cher maitre, une lettre de vous qui l'encourage, & dont il est bien digne. Je désire beaucoup et la publication et le succès du mémoire qu'il prépare, et j'espère que les Welches mêmes, tout Welches qu'ils sont, y applaudiront, pour le moins autant qu'à l'opera comique. Adieu, mon cher & illustre maitre, je vous embrasse & vous souhaite autant de santé & d'années que vous avez de gloire.
Bertrand l'ainé