1772-07-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Etes vous, Monseigneur, aussi étonné et aussi fâché que moi de voir tant de mensonges courir l’Europe sous le nom de Made De Pompadour, se faire lire, et se faire croire?
Il n’y a pas une Lettre d’elle, et cependant on ne sera détrompé de longtems. Celà ressemble aux mémoires de Made de Maintenon que La Beaumelle a débités, et qu’on regarde encor comme autentiques dans quelques païs étrangers. Comment peut on avoir l’insolence d’outrager tant de personnes respectables pour gagner un peu d’argent? Est-il possible que tant de gens de Lettres soient coupables d’une telle infamie? Nous avions besoin autrefois qu’on encourageât la littérature, et aujourd’hui il faut avouer que nous avons besoin qu’on la réprime.

Je suis si indigné contre les prétendues lettres de Madame de Pompadour, que j’oublie dans ce moment ma grande passion pour la presse, et que je me souviens seulement que je suis citoien.

Dumoins une tragédie et un opera comique ne font point de mal. J’espère que les Loix de Minos auxquelles j’ai beaucoup travaillé mériteront la protection dont vous les honorez, et que cette pièce ne sera point écrite de ce style barbare et vandale qu’on s’est permis si longtems.

Je parle icy au Doyen de nôtre académie qui doit maintenir plus que personne la pureté de nôtre langue.

L’impératrice de Russie me demandait, il n’y a pas longtems, s’il y avait deux langues en France? Elle avouait qu’elle n’avait pu entendre ce style abominable qui a fait tant de fracas sur nos théâtres à la honte de la nation.

J’ai supplié mon hérox de me mander s’il pourait faire donner Pandore, dont on dit que la musique est très bonne. J’ai toujours un très joli sujet d’un opéra comique, ou d’un petit opéra galant, qui pourait fournir une fort jolie fête, et qui n’éxigerait que très peu de dépense. Ce dernier mérite plairait beaucoup à Mr L’abbé Terray, mais pourvu que je puisse plaire à mon héros je suis content, je ne demande rien à personne.

Je me flatte que Madame De st Julien vous dira à Paris combien vous êtes révéré à Ferney. Il faut bien que les dieux reçoivent quelquefois l’encens des villages.

Recevez aussi avec vôtre bonté ordinaire les tendres respects de ce hibou des Alpes.

V.