[c. 20 July 1775]
Quoi! monsieur, vous avés l'injustice de croire et j'oserai ajouter, la cruauté de me dire que je vous oublierai dès que je serai à Paris.
C'est ne rendre justice ni à vous ni à moi. Vous êtes pourtant bien bon d'ajouter que vous ne m'en aimerés pas moins. C'est à moi monsieur de vous aimer, de vous admirer sans prétendre à d'autre récompense qu'au plaisir de vous en voir persuadé.
Je serois trop heureuse si en entendant chanter à Le Gros j'ai perdu mon Euridice vous eussiés pensé un moment à moi, mais puis que vous voulés bien vous comparer à Orphée laissés moi mourir la première. Je veroi si vous me regrettés un peu car si je descends chés Pluton, il ne tiendra qu'à vous de venir m'y chercher; la voix de mon Orphée bien mieux que celle de l'Orphée de la Thrace, adouciroit les divinités des enfers.
J'ai lu monsieur, cette belle requête que mr d'Etalonde adresse au roi. Qu'elle est belle! qu'elle est simple et touchante! que l'humanité n'a t'elle toujours eu de semblables défenseurs. J'espère que le roi la lira et qu'elle élèvra dans son âme autant d'indignation que d'attendrissement.
Mon bon Condorcet m'a aussi montré la lettre que vous lui adressé. Je suis enchantée de ce que le roi de Prusse fait pour cet infortuné jeune homme, mais ce qui me touche encore davantage c'est que les consolations et les dédomagemens qu'il éprouve il les doit à l'éloquence, à l'humanité avec laquelle vous avés plaidé sa cause.
Mon frère m'a montré aussi la lettre que vous lui avés Ecrite. Je lui laisse le soin de répondre à tout ce que vous désirés de lui mais permettés moi de vous remercier du fond du cœur du mot que vous avés ajouté pour moi de votre main. Que ne puis-je la baiser cette main et la presser encore dans les mienes.
Mais il a fallu me contenter de baiser les caractères qu'elle a tracés et je l'ai fait avec autant de respect que de tendresse.
Nous sommes tous ici dans une joye qui ressemble à l'ivresse d'avoir pour ministre mr de Malesherbes. Voilà deux philosophes en places et nous ne doutons pas qu'ils ne se réunisse pour faire le bien que vous prêchés depuis si longtems en vers et en prose.
Adieu monsieur, je me jette à vos pieds, je baise vos mains mille et mille fois et je vous conjure de croire que je vous aimerai, que je vous adorerai jusqu'à mon dernier soupir.