1775-06-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Amélie Suard.

J'ai eu l'honneur, Madame, de mander à Monsieur Vôtre mari que j'étais éperduement amoureux de vous.
Il est bien juste que je vous fasse la même confidence. Ma passion a bien redoublé à la lecture de vôtre Lettre. Vous m'oublierez dès que vous serez dans Paris. Je m'y attends, mais je ne vous aimerai pas moins. Nous allons avoir dans nos déserts l'opéra d'Orphée chanté par Le Gros. Je vous regretterai comme Orphée regrettait Euridice, à celà près que vous vous portez très bien, et que c'est moi qui vais bientôt chez Pluton, après avoir été piqué dans ce monde par des serpents.

Je ne sais si Monsieur De Condorcet est revenu de sa province où l'on dit qu'il a été grêlé; il aura fait peu d'attention à cette avanture, il ne songe aux biens de la terre que pour faire voir les obligations qu'ils ont à Monsieur Turgot.

Je suis encor éffraié des grandes entreprises de Monsieur vôtre frère. Il a plus d'affaires qu'un ministre d'état. Je lui souhaitte du fond de mon cœur tous les succez qu'il mérite. Je lui suis attaché prèsque autant qu'à vous. Souvenez vous l'un et l'autre avec quelque amitié du vieux malade que vous avez consolé dans sa retraitte, et de son cœur que vous avez séduit. Ce cœur est trop touché pour vous dire qu'il est vôtre très humble et très obéissant serviteur, celà ne se dit plus.