1770-04-06, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].
De Chaulieu L'Epicurien
Je n'eus point en don le génie,
Mais la goute qui me retien
Sur mon grabat à l'agonie
Vient par sa généalogie
De la même dont fut atteint
Cet aimable sibaritain.
Je vois que par détail, il faut quitter la vie
Ou plustôt ou plus tard, les ressorts sont usés,
L'un ne digère plus, l'autre a les yeux blessés,
De sourds et de perclus la gente moribonde
Transportent en balots par bonne occasion
Leur gros bagage en l'autre monde,
Jusqu'à la dissolution
Qui rassemble le tout dans le séjour imonde.
Pour moi je sens déjà couler mes fondemens,
Mes pieds estropiés perdent leur mouvemens.
Couvert de mes débris je me fais une fête
Que de maux conjurés l'implacable Tempète
Jusque dans ces affreux momens,
A encor épargné ma Tête.

Tout ces maux qui m'ont empêché de répondre à votre charmante lettre. Les sons de vôtre Lire se sont faits entendre dans le Tartare, où j'étois à la gêne, ils ont flêchi les Tirans qui m'opressoient, ils m'ont rendu à la vie comme autrefois Orphée sût délivrer Euridice. Le premier usage que je fais de ma reconvalescence, est de remercier l'Orphée ou L'Apollon qui me l'a procurée, et de lui envoyer en tribut une foible production de malade. J'attens le retour de mes forces pour vous en dire d'avantage, en implorant la nature pour qu'elle conserve la seule Colone du Parnasse qui nous reste, et ce bras armé du foudre de la raison qui écrase la superstition et le fanatisme.

Potsdam ce 6 avril 1770

Apropos j'aprans que les Capussins vous ont choisi pour Leur protecteur et que vous devenéz père Pediculoso. Je ne vous le Cède pas car Les jessuites m'ont pris pour Le Leur et si je Les soutiens chés moy St Ignace et St Xavier n'ont qu'à Tremblér que je ne foure dans Leur Niche que St Voltaire et St Federic.

Federic