1775-06-30, de Marie Anne Françoise Mouchard, comtesse de Beauharnais à Voltaire [François Marie Arouet].

Je ne connois personne monsieur qui soit plus digne de vous admirer, que Mr le cte de ste Aldegonde, mais combien j'envie son bonheur, il peut vous aller cherchér; moy qui ferois le tour du monde pour vous entendre quelques momens, moy qui hais Paris d'être si loin de Ferney, il faut que j'y reste.
Voilà pourtant le sort de mon sexe; toujours des entraves auprès de ses voeux, et le vôtre. Il est libre, indépendant, il seroit heureux s'il sçavoit s'arrettér. C'est par fantaisie qu'il court, c'est pas lassitude qu'il se repose. Nous dont la première science seroit d'être heureuse eussions nous toutes les autres! Nous qui n'aimons que la gloire plus que la félicité, pour les réunir ensemble, pour valoir mieux nous estimer davantage, élever notre âme, agrandir notre esprit, prendre de l'humanité une haute opinion, c'est auprès de vous monsieur que nous voudrions être, c'est là qu'on se plaist à écouter, qu'on apprend, qu'on admire, qu'on se désespère si l'on a des prétentions, mais qu'on jouit si l'on a un orgueuil plus noble, celui d'aimer la perfection dans tous les genres. Tel est le mien, c'est à luy que je dois les plaisirs de mon enthousiasme pour vous, c'est par discrétion que je vous luy dis rarement. Il m'est bien agréable monsieur de vous en offrir l'hommage et l'on ne peut rien ajouter aux sentimens d'admiration dont je vous prie de recevoir l'assurance. J'ay l'honneur d'être monsieur votre très humble et très obéissante servante

Mouchard de Beauharnais

Mde la ctesse de Beauharnois, ruë Montmartre.