Autrefois monsieur vous m’avez écrit les plus charmantes lettres, et moy aussi je vous en ay écrit qui n’étoient que senties.
Vous avez oublié tout cela, et peut être jusqu’à mon nom. Les hommages vous arrivent de toutes parts, et le mien n’a rien qui le distingue, il n’est que sincère. Cette refflection m’a long tems déterminé au silence, mais une femme ne peut pas se taire toujours, et il m’est nécessaire de vous dire encore combien je vous admire. C’est le besoin de tous ceux qui ons de l’âme, et nous en avons nous autres femmes, nous en avons bien plus que certains hommes qui nous en refuse. Je me suis avisé de faire une petite manière de satire contre eux, et bien plus j’ose vous l’envoyer. Soyez indulgent monsieur, soyez le beaucoup je vous en conjure, la supériorité doit être l’appui de tout et j’y ay confiançe. D’ailleurs la fantaisie des vers n’est entrée dans ma tête que depuis peu, je vous offre mes premiers torts.
Je vois souvent un homme qui a infiniment d’esprit, d’amabilité, qui parle toujours de vous monsieur, qui en parle avec enthousiasme. Cet homme aimable est Mr Dorat, le plus zélé de vos admirateurs, le plus digne de l’être, celui qui prétens le moins, qui mérite le plus, et dont l’âme est aussi belle que ses talens sons précieux. Je ne sçay s’il n’a pas eu lorsqu’il est entré dans le monde quelques torts de légèreté avec vous. Il est un âge où l’on obéit à des impressions étrangères, où l’on est entrainé par sa plume, où l’on ment à sa façon de penser. Ce sons des momens d’erreur, le repentir les suit toujours, un oubli généreux est la seule vengeance digne de vous, et vous l’êtes monsieur de faire plus, de vous assurer un ami estimable et des droits à ma reconnaissance. Vous régnez à l’académie françoise, votre opinion y doit dominér. Voici une place vaquante, si vous vouliez Mr Dorat pourroit l’obtenir, et quand tous les suffrages ne se joindrois pas au vôtre, s’il a votre voix il aura plus que la place. Ses ouvrages vous sons connus. Il n’a pas un seul ennemi parmi les gens honnêtes. Si vous le connoissiez vous l’aimeriez et il ne manqueroit rien à sa gloire. Que je me trouverois heureuse de servir une des personnes que j’estime le plus, et celle qui vous apprécie le mieux. J’ay l’honneur d’être monsieur votre très humble et très obéissante servante
Mouchard de Beauharnois
à Paris le 20 juin 1771
Mde la ctesse de Beauharnois ruë Montmartre