1744-09-08, de Louis Mannory à Voltaire [François Marie Arouet].

J'ai appris depuis deux jours, Monsieur, que vous étiés à Paris.
Je ne sçai point à quelle heure je pourrois vous trouver sans estre importun et j'appréhenderois de trouver quelqu'un chez vous de connoissance. Je suis dans un état à éviter tout le monde. Mes malheurs continuent, Monsieur, tels que je vous les ai écris. Je n'ai osé me découvrir à personne: et dans ce tems cy peu de gens seroient en état de me soulager. La semaine passée toute entière je n'ai mangé que du pain et bu de l'eau, et j'ai ma femme et mon ménage à 8 lieües d'ici, qui se trouve réduitte à la même misère. J'ai cependant une maison prête à me recevoir, j'ai un talent qui me vaudroit sûrement dans l'année prochaine plus de 12000lt, j'ai un père âgé de plus de 80 ans et extrêmement infirme qui me laissera plus de 40000 écus; et je me vois prêt à périr. Je vous demande donc deux grâces, Monsieur, prêtés moi aujourd'hui quelques louis pour vivre et pour que j'en envoie demain à ma femme. Je vous les rendrai à la fin de cette année. Et rendés moi le service essentiel de me venir voir l'un des trois derniers jours de cette semaine. Je suis en chambre garnië, ruë de la Comédie françoise, entre Mr Savigny, notaire à la comédie, aux armes d'Orléans dans l'allée d'un perruquier, chez Mr Dubois, au premier sur le devant. Vous pouvés me tirer de ce cruel embaras, sans rien débourser. Vous pouvés remettre à mon laquais ce que vous m'enverrés. Vous me rendrés la vie. Je suis avec la plus tendre considération, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur

Mannory