1775-01-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Louise Nicole Élisabeth de La Rochefoucauld, duchesse d'Anville.

Madame,

Je me jette à vos pieds cette fois-ci bien sérieusement, et je vous conjure d'achever par votre protection de rendre la vie et l'honneur au plus innocent, au plus sage, au plus modeste, et plus malheureux gentilhomme de France.

Il ne s'agit plus actuellement d'aucune formalité de loi ni d'aucune lettre en chancellerie. Il demande au roi un sauf-conduit d'une année comme vous le verrez par les petits papiers ci-joints. Il faudra en effet une année entière au moins pour débrouiller tout le chaos de cette abominable aventure; et le roi son maître voudra bien me le confier encore supposé que je vive.

Ce n'est point à moi à prévoir s'il cherchera à entrer dans le service de France, ou s'il restera à celui du roi de Prusse. Tout ce que je sais c'est qu'il est un très bon officer, et un bon ingénieur. Il est supposer résider à Vesel et il ne peut se montrer en France qu'avec un sauf-conduit. Nous en demandons un qui soit à peu près suivant le modèle que nous présentons.

Cette petite grâce qui ne tire à aucune conséquence, dépend entièrement du ministre des affaires étrangères; et je suis bien sûr que ce ministre fera tout ce que m. le comte de Maurepas voudra.

Daignez donc, madame, en parler à mr de Maurepas quand vous le verrez. Permettez qu'on mette cette bonne action dans la liste de celles que vous faites tous les jours, quoique cette liste soit un peu longue.

J'ai l'honneur d'être avec le plus profond respect et la plus vive reconnaissance,

mad.