à Genève, le Lundy 26 xbre 1774
Monseigneur,
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 12 de ce mois.
Le Conseil ayant pris le parti de ne pas répondre à la lettre que les natifs bannis de Genève avoient écrite au Premier Sindic, parce qu'on a prétendu qu'ils n'avoient point été jugés par contumace, ceux cy ont fait une nouvelle démarche qui n'aura pas plus de succès.
J'étois à Ferney il y a quelques jours lors que M. De Voltaire qui venoit tout récemment de reçevoir des marques de la protection Du Ministère pour sa manufacture et ses ouvriers Genèvois qui la composent apprit que les bannis agissoient comme s'ils vouloient rentrer Dans cette ville. C'étoit une chose curieuse que de l'entendre déclamer contre la tournure d'esprit inquiète, et brouillonne du peuple de Genève. Un seul d'entre eux nommé Auzieres n'avoit pas voulu signer la requête, il vint me le dire et m'exposer ses raisons. J'affectai de mettre très peu d'importance à cette démarche de la part de ses camarades, et l'exhortai à continuer à se bien conduire dans l'azile que la bonté du feu Roy leur avoit offert.
Le parti que le conseil a pris de donner la Bourgeoisie aux principaux d'entre les natifs, fait que ce corps n'est plus si à craindre; mais d'un autre côté l'accroissement du nombre des Bourgeois rend le parti populaire chaque jour plus puissant. On a compté que depuis cinq ans il étoit entré dans la Bourgeoisie trois cens vingt deux personnes, presque toutes dévouées aux Démagogues et ennemie du conseil. Il y a lieu de croire cependant que les élections qui vont se faire reprendront l'ancien train et que les sindics pour l'année 1775 seront les mêmes qu'il y a quatre ans à l'exception d'un qui est mort dans l'intervale.
J'ay l'honneur d'être avec le plus profond respect
Monseigneur
Votre très humble et très obéissant Serviteur
Hennin
P. S. — Du 27 Décembre — La République est monseigneur dans l'usage de me faire présent dans ce tems cy de Truites. Permettez moi de vous offrir la plus belle. J'en charge le courrier qui part demain matin. Elle pèse plus de 31 Livres de France. Si elle arrivoit gelée il faudroit la mettre dans l'eau froide jusqu'à ce que toute la glace fût sortie à l'extérieure.