1774-12-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Achard Joumard Tison, marquis d'Argence.

Mes neiges, Monsieur, mes quatrevingts-ans, et mes douleurs continuelles, ne m'ont pas permis de vous parler plutôt de vos plaisirs.
Le récit que vous m'en faittes m'a bien consolé. Je vois que les talents se sont rassemblés chez vous. Jouïssez longtemps d'une vie si dignement occupée. Vous êtes dans un beau climat, et je suis actuellement en Laponie. Le hameau que vous avez vu, est devenu une jolie petite ville, mais il y fait froid comme à Archangel.

Il est bien triste, je vous l'ai dit plus d'une fois, que les gens qui pensent de même, ne demeurent pas dans les mêmes lieux. Quelques maisons que j'ai bâties dans ma colonie sont habitées par des personnes dignes de vous connaître. Elles me font sentir tout ce que j'ai perdu par vôtre éloignement.

Vous avez fait une plus grande perte en n'ayant plus Mr Turgot pour Intendant, mais la France y a gagné. Vous avez la consolation de voir les commencements d'un règne juste et heureux.

Messieurs vos enfans ont les plus belles espérances et feront la consolation de vôtre vie. Je vais bientôt finir la mienne, mais ce sera en vous aimant.

V.