1774-12-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Antoine Lépine.

Je ne manquerai pas, monsieur, de vous rendre le petit service que vous me demandez, si je suis en vie quand je vous reverrai.
La manière dont la chose se traitera dépendra un peu du triste état de ma santé, et des intérêts de ma famille que mon grand âge m'oblige d'avoir principalement en vue.

En attendant, il est très essentiel que vous demandiez une audience à m. de Fargés, maître des requêtes ou conseiller d'état, à qui m. le contrôleur général a renvoyé la connaissance entière des affaires qui concernent la colonie de Ferney. C'est à m. de Fargés uniquement que vous devez vous adresser. Il faut le voir; vous lui donnerez un mémoire s'il vous en demande un. Vous lui direz dans quel état florissant j'ai mis cette colonie. Il sentira bien de quelle utilité elle est au royaume, puisque vous y avez vous même un comptoir. Il est certain que, si on favorise cet établissement, on y pourra faire bientôt un commerce de plus d'un million par an. Mais tout est perdu si on nous abandonne. Je ne parle point de quatre cent mille francs qu'il m'en a coûté pour bâtir des maisons, et pour faire une ville très jolie d'un des plus malheureux hameaux qui fût en France. Je puis perdre quatre cent mille francs, mais il me restera la consolation d'avoir travaillé pendant quelques années pour l'avantage de ma patrie et de la vôtre.

Si vous voyez monsieur votre beau-frère, je vous prie de lui dire combien je me suis intéressé à lui, et à quel point je l'estime.

J'ai l'honneur d'être, de tout mon cœur, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

V.