1775-12-25, de Jean Charles Philibert Trudaine de Montigny à Voltaire [François Marie Arouet].

J'ai remis sous les yeux de M. Le contrôleur général, Monsieur, les deux lettres dont vous m'avés honoré, et j'aurois eu l'honneur de vous en informer avant hier sans un assés gros rhume avec de la fièvre qui m'a empêché de rien faire pendant deux fois vingt quatre heures.

Quelqu'édifiante que soit la première de ces lettres, Monsieur, M. Le contrôleur général n'a pas crû devoir se relâcher de la quotité de la somme qu'il avoit fixé en grande connoissance de cause pour le prix de ce que rapportoit au Roy les droits qu'il suprime dans le paÿs de Gex. Je crois que le pays y gagneroit encore beaucoup quand bien même le produit net des fermiers généraux auroit été audessous de cette somme, puisque ce n'est pas le produit net mais le produit brut qui étoit payé véritablement par le paÿs et dans cette supposition ce seroit encore une chose très heureuse et pour les contribuables et pour l'état si les peuples payant moins le Roy pouroit percevoir d'avantage. Mais ce n'est pas même ici le cas et M. le contrôleur général a jugé que ces trente mille livres étoient le dédommagement juste de ce que perdroient les fermiers généraux dont le produit a été augmenté depuis 1760 par les sols pour livre et autres additions survenues depuis.

Les fermiers généraux auroient en effet acheté le Royaume des cieux à bien bon marché s'il ne leur en avoit coûté à chacun que 80lt par an et ce seroit bien le cas de dire qu'il n'y a que les gens riches qui font de bons marchés. Mais M. le contrôleur général est moins occupé du soin de leur salut que de leur faire rendre justice et encore plus d'entretenir entre toutes les provinces du Royaume grandes ou petites la proportion d'imposition qu'elles doivent supporter eû égard à leurs circomstances et il a jugé que le pays de Gex loin d'être surchargé par cette contribution payeroit dans le fait moins qu'il ne payoit auparavant.

Il n'est pas douteux que ce seroit une chose bien heureuse pour le Royaume si cet exemple pouvoit gagner dans quelques autres provinces. Tout le secret de notre métier consiste à ce que les peuples soient moins surchargés et que le Roy reçoive d'avantage. C'est comme celui du maitre en fait d'armes dans le Bourgeois gentilhomme consiste à toujours donner et ne jamais recevoir. Mais c'est le moyen d'y parvenir qui est difficille. Combien de préjugés faut il vaincre pour cela, et des préjugés d'autant plus difficilles à attaquer qu'ils n'ont point de base. On seroit bien heureux si on avoit toujours à traiter avec des provinces éclairées sur leurs propres intérêts.

Permettez, Monsieur, que je me félicite de ce que cette négociation m'a mis dans le cas d'entrer en correspondance avec vous. C'est un avantage que je regarde comme trop précieux pour ne pas chercher à le conserver le plus longtems qu'il me sera possible. Vous connoissés tous les sentimens d'admiration et d'attachement avec les quels j'ai l'honneur d'être, Monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur.

M. Le contrôleur général a écrit aux fermiers généraux pour qu'ils retiren t le plustôt qu'il sera possible leurs établissements, et l'Edit est envoyé au Parlem ent de Bourgogne qui à ce que j'espère ne fera pas languir pour l'enregistrement.