1763-11-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Il ne s'agit pas tous les jours, mes divins anges, de conspiration, et d'assassinats.
Je mets pour cette fois à l'écart, les Grecs et les Romains, et je ne songe qu'aux dîmes.

Voici une lettre de mr le 1er président du parlement de Bourgogne, qui, sans doute, est conforme à celle qu'il a écrite à mr le duc de Praslin. J'ignore s'il est convenable que le roi fasse enregistrer aujourd'hui au parlement de Bourgogne les traités de Henri 4. Tout ce que je sais, c'est que je demande la protection de mr le duc de Praslin, et qu'il est nécessaire que notre cause soit remise par devant le conseil, qui ci-devant l'avait évoquée à lui. Les enregistrements n'empêcheraient pas probablement le parlement de juger selon le droit commun. Il pourrait dire, Nous avons déjà jugé cette affaire il y a plus de cent ans; le conseil s'en est emparé depuis; nous nous en tenons à notre premier arrêt, antérieur d'un siècle à l'enregistrement que nous faisons aujourd'hui; et cet enregistrement ne peut préjudicier au droit commun qui décide en faveur des curés contre les seigneurs.

Vous m'avouerez qu'alors ma cause, qui est très importante, serait très hasardée. Il est plus simple, plus court, plus naturel, que le conseil d'état retienne à lui l'affaire qui était entre ses mains, et qui n'en est sortie que par un arrêt par défaut, subrepticement obtenu.

C'est sur quoi, mes anges, je vous demande votre protection auprès de mr le duc de Praslin; et j'écris en conformité à mr Mariette, mon avocat au conseil.

Vous m'avouerez que voilà un vrai style de dépêches, vous me direz que je suis un étrange homme; voilà trois parlements du royaume que j'ai un peu saboulés, Paris, Toulouse et Dijon; cependant, aucun n'a donné encore de décret de prise de corps contre moi, comme contre le beau mr Dumênil.

Cette aventure de mr Dumênil n'est elle pas bien singulière? et ne sommes nous pas dans le siècle du ridicule, après avoir été dans le temps de Louis 14 dans le siècle de la gloire? De grâce, donnez moi un petit mot de consolation en me parlant de vos roués et de vos assassinats. Mes anges vivez heureux.

Respect et tendresse.

V.