1774-10-29, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Le Rond d'Alembert.

Mon cher et grand philosophe, je vous ai légué d'Etallonde, comme je ne sais quel Grec donna en mourant sa fille à marier à je ne sais quel autre Grec.
Il s'agit de voir si on peut obtenir en France la grâce d'un brave officier prussien accusé d'avoir chanté à l'âge de seize ans une vieille chanson de corps de grade, et d'avoir récité l'ode à Priape de Piron connu par cette seule ode à la cour, et récompensé par une pension du roi de 1500lt sur la cassette. Certainement le poing coupé, la langue arrachée, la torture ordinaire et extraordinaire, la roue et le bûcher n'étaient pas en raison directe du crime.

J'avais supplié le roi de Prusse de vous envoier ou un passeport pour d'Etallonde, dit Morival, ou une attestation de son général, qui servira de ce qu'elle pourra. Il me mande qu'il vous l'envoie, et peut-être avez vous déjà reçu cette pancarte. Vous en ferez, après la St Martin, l'usage que votre bienfaisance et votre sagesse vous conseilleront; rien ne presse. Ce jeune homme reste toujours chez moi, et made Denis le gardera si je meurs avant que son affaire soit consommée.

Le roi de Prusse me dit qu'il charge son ministre de recommander d'Etallonde au garde des sceaux. Madame la duchesse d'Anville a déjà disposé mr de Miromésnil à être favorable à d'Etallonde. Nous avons dans l'ancien parlement et dans le nouveau des hommes sages et justes, qui m'ont donné parole de faire réparer autant qu'il sera en eux l'arrêt des cannibales, qui d'un trait de plume ont assassiné la Barre en personne, et d'Etallonde en peinture arrêt qui par parenthèse ne passa que de deux voix.

Il reste à voir s'il faut ou qu'il fasse juger son procès, ou qu'il demande des lettres honteuses de grâce. Je suis absolument pour la révision, parce que j'ai vu les charges. Une grâce n'est que l'aveu d'un crime. Il serait bien beau à la philosophie de forcer l'ancienne magistrature à expier ses atrocités, ou d'obtenir de la pauvre nouvelle troupe une réparation solennelle des infamies punissables de l'autre tripot. Ce problème des deux corps est aussi digne d'être résolu par vous que le problème des trois corps.

Nous en parlerons dans quelque temps. Je recommande aux deux Bertrands cette bonne œuvre; Raton mourant n'est plus bon à rien.

Ne voyez vous pas quelquefois mr d'Argental? Il connaît cette affaire, il a un grand zèle.

Tout cela n'est pas trop académique; mais cela est humain et digne de vous. Ce n'est plus Damilaville minor dont je vous parle, j'espère qu'il ne vous importunera plus.

Adieu digne homme.

V.

N. B. Un fils du comte de Romanzof vient de faire des vers français dont quelques uns sont encore plus étonnants que ceux du comte de Chowalof. C'est un dialogue entre dieu et le révérent père Hayet, auteur du journal chrétien. Dieu lui recommande la tolérance, Hayet lui répond,

Ciel! que viens je d'entendre, ah! ah! je le vois bien,
Que vous même, seigneur, vous ne valez plus rien.

Tout n'est pas de cette force.