à Ferney ce 8e février 1775
Un secrétaire de l'académie devrait bien avoir ses ports francs.
Je suis persuadé, mon cher et vrai philosophe, qu'il vous en coûte par an en lettres inutiles, beaucoup plus que votre secrétariat ne vous rapporte. Cependant, il faut que je vous mande par la poste, que je suis très en peine d'un goutteux à qui j'ai adressé quatre paquets de rogatons pour vous, parmi lesquels rogatons il y a quelques marrons de Raton pour les Bertrands.
Je m'aperçois par une lettre de mr de Condorcet que ni vous ni lui n'avez reçu aucun de ces rogatons académiques. Cependant, la première chose qu'avait faite le goutteux était de me dire, envoyez moi tous les marrons pour les Bertrands, et je les leur ferai tenir. Je vois que vous ne tenez rien, et que vous n'avez pas perdu grand'chose.
Dites donc à mr de Condorcet qu'il aille à l'office et qu'il se fasse rendre son plat et le vôtre Car lorsque je brûle mes pattes pour vous, je veux du moins que vous mangiez un peu de mon plat.
Je ne doute pas que vous n'ayez écrit à Luc beaucoup de bien de mon jeune homme que vous ne connaissez pas, et que vous aimeriez si vous le connaissiez, car il est devenu un très bon géomètre praticien, et c'est assurément tout ce qu'il faut dans son métier. On n'ouvre point une tranchée, on ne bat point en brèche avec des X X. Le maréchal de Vauban n'aurait pas résolu le problème des trois corps mais Euler conduirait peut-être fort mal un siège.
Ut ut est, je ne quitte pas prise; j'écris lettre sur lettre à son maître Luc. Je ne démordrai de mon entreprise qu'en mourant. Vous me direz que je mourrai bientôt, cela est vrai; donc il faut se hâter, cela est conséquent.
Raton vous embrasse bien vivement, bien tendrement du fond de son trou et du milieu de ses neiges.