1774-09-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Je venais, mon cher ange, d'envoier vôtre billet, selon la permission que vous m'en aviez donnée.
Je reçois dans le moment vôtre Lettre du 19e 7bre et je vais sur le champ écrire à Paris, afin qu'on ne vous présente le billet que lorsque vous en donnerez l'ordre. D'ailleurs l'homme qui devait venir chez vous pour ce petit paiement a dû être chargé d'attendre vôtre commodité, et il n'y avait nulle forme de Lettre de change.

Je vous suis très obligé des écclaircissements que vous avez bien voulu me donner sur un homme à qui je m'intéresse. On m'a assuré qu'il avait un courage tranquile. Je serai fort étonné si je vois le dénouement des affaires publiques. Je m'affaiblis tous les jours, et j'irai bientôt trouver vôtre pauvre frère. J'ai lutté vingt ans contre le climat de la Suisse; celà est bien honnête. J'espère que Made Denis soutiendra la petite colonie que j'ai établie. Je dirai en prenant congé, urbem exiguam statui, mea mœnia vidi.

A l'égard du jeune homme pour qui vous avez une juste pitié, il n'est pas possible qu'il aille à Paris, et il n'y a qu'un ami intime de Mr De Miroménil qui pût obtenir pour lui la faveur dont il est si digne. Je ne connais personne auprès de lui. Je souhaitte de vivre assez pour être utile à cet infortuné, mais je ne l'espère pas.

L'abbé De Voisenon me mande que Mr le Mal de Richelieu s'amuse à lui prouver que je suis l'auteur de la lettre du théologien. Je suis bien aise que son procez contre Made de st Vincent lui laisse assez de gaieté dans l'esprit pour turlupiner ainsi ses serviteurs; mais je suis fâché qu'il respecte si peu les bontés dont il m'a toujours honoré; il est si aimable qu'on lui pardonne tout.

Bon soir mon très cher ange. Jouïssez longtemps d'une vie heureuse, de la considération que vous avez méritée; bravez avec Madame D'Argental l'hiver qui va me porter le dernier coup. Mes très faibles bras vous embrassent. Je me mets aux pieds de Madame D'Argental.

V.