1775-07-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

J'ai à vous dire, Monseigneur, que je viens de boire du vin de Champagne à vôtre santé avec un homme qui vous a vu essuier plus de coups de canon que vous n'avez de cheveux à la tête.
C'est un Monsieur Du Vivier, homme fort aimable, qui ne pouvait vous suivre à la tranchée du fort St Philippe, parce que vous alliez toujours trop vite. C'est lui qui est venu me faire sortir de mon lit, qui s'est moqué de ce que j'avais quatre vingt deux ans, et qui m'a fait boire. Nous n'avons parlé que de vôtre gloire, il ne m'a pas dit un seul mot des écritures de Made de st Vincent, qui ne valent pas les écrits de Made de Sevigné sa grand mère. Il est reparti sur le champ pour Paris, et je me suis remis dans mon lit. Je mourrai avec le regret de n'être pas venu un matin à vôtre réveil dans vôtre beau palais bâti par le Duc D'Antin, de n'avoir pas été témoin de la gaieté et des grâces que vous avez conservées, et de n'avoir pas admiré de près vôtre courage d'esprit dans toutes les vicissitudes de la vie.

La poste, tout infidèle qu'elle est, va partir après Mr Duvivier; elle ne me laisse pas le tems de vous dire le plaisir qu'il m'a fait en me parlant toujours de vous. Me voilà à présent sans consolation dans ma misère.

V.