1733-11-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marguerite Thérèse Colbert de Croissy, duchesse de Saint-Pierre.
Moy qui dans mes amusements,
Cherchant quelque sage lecture
Lis très peu les nouvaux romans
Et baucoup la ste écriture,
Hier je lisois l'avanture
De ce bon père des croyants
Qui de dieu chantant les louanges
Vit arriver dans son réduit
Vers les aproches de la nuit
Une visite de trois anges.

J'ay reçu madame le même honneur dans mon trou de la rue de Long Pont, et de ce jour là j'ay cru aux divinitez comme Abraham mais la différence fut que le trio célestes soupa chez le bonhomme, et que vous n'avez pas daigné souper chez moy crainte de faire méchante chère.

Si vous aviez effectivement la bonté qu'on attribue à votre espèce divine, vous auriez fait une cène dans mon hermitage, mais votre apparition ne fut point une apparition angélique,

Et pour revenir à la fable
Pour moy baucoup plus vraisemblable
Et pour prendre un bien meilleur tour,
Je reçu chez moi l'autre jour
De déesses un couple aimable
Conduit par le dieu d'amour;
Du paradis l'heureux séjour,
N'a jamis rien eu de semblable.

Le dieu d'amour n'avoit point une perruque blonde, ses cheveux n’étoient pas si dérangez que les boulets du fort de Kell le laissèrent craindre et il avoit baucoup d'esprit. Il n'apartient pas à un mortel qui loge vis à vis st Gervais d'oser suplier la déesse vicereine de Catalogne, l'autre déesse et cet autre dieu, de daigne[r] venir boire du vin de Champagne aulieu de nectar, de quitter leur palais pour une chaumière et bonne compagnie pour un malade.

Ciel! que j'entendrois s’écrier
Mariamne ma cuisinière,
Si la duchesse de st Pierre,
Du Châtelet et Forcalquier
Venoient souper dans ma tanière!

Mais après la fricassée de poulets, et les chandelles de Charonnes, que ne doit on point attendre de votre indulgence?

Les dieux sont bons, ils daignent tout permettre
Aux gens de bien qui leur offrent des veux.
Le cœur suffit, le cœur est tout pour eux
Et c'est le mien qui dicta cette lettre.