1775-07-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Vous avez dû recevoir, Monseigneur, une Lettre de moi fort inutile, dans laquelle je ne vous parlais que du vin de Champagne que j'avais osé boire à vôtre santé avec Mr Du Vivier.
Je reçois aujourd'hui vos deux Lettres du 16 juillet.

Je me hâte de vous répondre que je n'ai nulle nouvelle du papillon philosophe. Si sa papillonerie est partie de Paris elle doit être à Dijon, et si elle est à Dijon elle viendra frétiller dans quelques jours à Ferney, et alors j'obéirai à vos ordres. Nous ne sommes de fins personnages ni le papillon, ni moi. Il est, ce me semble, fort aisé de deviner pourquoi elle n'a pas volé vers vous lorsqu'elle était entourée de fleurs qui ne sont pas celles de vôtre jardin.

Moi qui ne papillonne point je serais sûrement dans vôtre beau jardin si les parques qui m'ont filé quatre vingt deux ans pouvaient me le permettre; mais les coquines ont cassé en vingt endroits mon fil qui ne vaut rien du tout, et que est bien indigne du vôtre. Ma nièce qui a eu une maladie terrible ne peut en revenir, elle traîne une convalescence pitoiable, et moi je traine ma décrépitude. Un papillon ne trouvera rien à sucer chez nous. Quelque tort qu'il puisse avoir, je suis bien persuadé qu'il aimera toujours à mettre ses ailes auprès des vôtres. Vous ètes comme les dieux, vous avez une jeunesse immortelle.

Vous ne me dites rien de l'art d'écrire de Made De St Vincent; il me parait que ceux qui la conduisent entendent parfaittement l'art de la chicane; elle en a grand besoin.

Conservez moi vos bontés, vous savez combien elles me consolent.

V.