1748-11-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.
Je la verray, cette statue,
Que Gene élève justement
Au héros qui l'a déffenduë.
Votre grand oncle moins brillant
Vit la gloire moins étenduë;
Il seroit jaloux à la vuë
De cet unique monument.
Dans L'âge frivole et charmant
Où le plaisir seul est d'usage,
Où vous reçûtes en partage
L'art de tromper si tendrement;
Pour modeler ce beau Visage
Qui de Venus ornoit la cour
On eût pris celuy de L'amour,
Et sur tout de L'amour volage:
Et quelques traits moins enfantins
Auraient été la vive Image
Du dieu qui préside aux Jardins.
Ce double et charmant avantage
Peut diminuer à la fin,
Mais la gloire augmente avec L'âge.
Du sculpteur la modeste main
Vous fera L'air moins Libertin,
C'est de quoy mon héros enrage.
On ne peut filer tous ses jours
Sur le trône heureux des amours:
Tous les plaisirs sont de passage,
Mais vous saurez régner toujours
Par L'esprit et par le courage.
Les traits du Richelieu coquet,
De cette aimable créature,
Se trouveront en mignature
Dans mille boetes à portrait
Où Macé mit votre figure;
Mais ceux du Richelieu vainqueur
Du héros soutien de nos armes,
Ceux du père, du déffenseur
D'une république en allarmes,
Ceux de Richelieu son vengeur,
Ont pour moy cent fois plus de charmes.
Pardon, je sens tout le travers
De la morale où je m'engage.
Pardon, vous n'êtes pas si sage
Que je le prétends dans ces vers.
Je ne veux pas que L'univers
Vous croye un grave personnage.
Après ce jour de Fontenoy
Où couvert de sang et de poudre
On nous vit ramener la foudre
Et la Victoire à votre Roy,
Lors que prodiguant votre vie,
Vous eûtes fait pâlir d'effroy
Les Anglais, L'Autriche et L'envie;
Vous revîntes vite à Paris
Mêler les mirthes de Cipris
A tant de palmes Immortelles.
Pour vous seul à ce que je vois,
Le temps et L'amour n'ont point d'ailes,
Et vous servez encor les belles
Comme la France et les Genois.

Je m'imagine monseigneur mon héros qu'avec votre gloire et votre statue, vous serez prié en arrivant à Paris, à soupé chez le président, car il faut que rien ne vous manque. Je reçois votre lettre dans ce moment.