1772-07-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ange, mr le marquis de Felino est bien bon de daigner descendre jusqu’à m’expliquer ce que c’est que mes deux avanturiers de Nice.
Il me passe tous les jours sous les yeux de pareils Gusmans d’Alfarache. Il y en a autant que de mauvais poètes à Paris, et de mauvais prêtres à Rome. Mais je vois que la providence tire toujours le bien du mal puisque ces deux polissons m’ont valu un écrit instructif de la part d’un homme pour qui j’ai l’estime la plus respectueuse et qui est votre ami. Je vois avec douleur que l’esprit de la cour romaine domine encor dans presque touttes l’Italie excepté à Venise.

Romanos rerum dominos gentem que togatam.

Je ne voiagerai point dans ce pays là quoyque Monsieur Ganganelli m’ait assuré que son grand inquisiteur n’a plus ni d’yeux ni d’oreilles.

Je vous supplie de vouloir bien présenter mes très humbles remerciements à Monsieur le marquis de Felino. Je crois que le séjour de Paris lui sera pour le moins aussi agréable que celui de Parme.

Je songe toujours à la Crete, et je vous aurais déjà envoié mon dernier mot si je pouvais avoir un dernier mot.

Votre favori Roscius veut il, quand il sera à Ferney, jouer Gengis, et Semiramis? Je crois que le pauvre entrepreneur de la trouppe ne pourait lui donner que cent écus par représentation; et si je ne me trompe, je vous l’ai déjà mandé. Cela sert du moins à paier des chevaux de poste. Pour moy je ne puis plus être magnifique. Je me suis ruiné en bâtiments et en colonies, et je m’achève en bâtissant une maison de campagne pour Florian.

Je dirai en parodiant Didon,

exiguam urbem statui mea mœnia vidi
et nunc parva mei sub terras ibit imago.

Voici des pauvretés pour vous amuser.

Je me mets à l’ombre des ailes de mes anges.

V.

Vous croiez bien que je recevrai Monsieur le chevalier de Bufferana de mon mieux, tout malade et tout languissant que je suis. Les apparitions de vos parents et de vos amis sont des fêtes pour moy.