1774-03-17, de Jean Baptiste Nicolas de Lisle à Voltaire [François Marie Arouet].

L’académie des sciences est très effarouchée.
Vous savéz, monsieur, qu’elle a, comme toutes les sociétés littéraires, le droit d’élire librement chacun de ses membres, et la cour, sans égard pour ce droit qui n’a, dit on, jamais reçu d’atteinte, a nommé hyer de sa pleine autorité un académicien qui est, je crois, le fils du chirurgien Morand et chirurgien lui même. Une députation de seize membres de l’académie à la tête de laquelle est le chr de Lorinci, doit se rendre aujourd’hui chéz m. le duc de la Vrilliere pour faire des remontrances. On présume qu’elles seront mal reçues.

J’ai pris, pour l’amour de vous, des informations éxactes sur la requête des Verron. M. le chancelier leur a promis en effet d’en présenter une et leur a nommé pour rapporteur m. de Lamilliere que je connais beaucoup et depuis longtems. Il m’a dit hyer qu’il avait, depuis quelques jours, la requête entre les mains, que d’après son rapport au conseil, elle y serait admise ou en serait rejettée, mais que ne l’ayant point encor examinée, il ne pouvait me dire s’il trouvait les Verron fondés à la présenter. M. de la Milliere est un très honnête jeune homme, il a de l’esprit et des connaissances. Je veux demain lui faire lire l’histoire de cet absurde procèz telle que vous l’avéz écrite dans la seconde partie des fragments.

La voye d’appel en révision et en cassation d’arrêt est interdite à Beaumarchais. On lui a prescrit un silence absolu. Tout le monde le plaint, mais il deviendra bientôt indifférent. Aucun intérêt ne se soutient longtems à Paris et celui qu’on accorde aux malheureux dure moins que tout autre. La comédie du barbier est entre les mains de Préville qui ne la lit pas aussi bien que l’auteur, mais de façon pourtant à faire grand plaisir. Je l’ai encor entendüe hyer et je persiste à croire qu’elle est une des plus gaies que nous ayons au théâtre.

L’épître à Ninon cause, parmi nous, de grands débats. On ne peut croire qu’elle soit d’un jeune étranger, mais on ne devine pas non plus quel Français en est l’auteur. M. le cte de Schouwaloff est assuré, dit-il, que l’épitre vient de son neveu, votre ami d’Argental l’assure aussi, personne ne se rend à leurs assurances; pour moi je dis qu’un Russe a fait ces vers là tout comme j’ai fait l’Ilyade.

Mde du Deffand m’a très expressément chargé de vous dire qu’elle vous aime de tout son coeur quoique vous la traitiéz avec une rigueur extrême. La dernière lettre que vous lui avéz écrite est du 15 de xbre, elle demande si votre arrangement est de ne lui écrire que par quartier; sa mauvaise humeur est tout à fait plaisante, elle en était remplie avant hyer parce qu’elle avait passé la nuit dans une longue insomnie et que son invalide avait, dit elle, avalé tout ce qu’il lui lisait, car vous sauréz qu’elle a, pour lecteur, un vieux invalide qui se rend au chevet de son lit déz quatre heures du matin.

Le procès du cte de Guignes contre son secrétaire est au moment de commencer, les mémoires vont paraitre de chaque côté. Vous savéz que ce secrétaire qui a indignement abusé de la confiance et du nom de son maitre, pour joüer dans les fonds publics d’Angleterre, l’accuse aujourd’hui d’avoir été son complice. Je ne sais si le cte de Guignes vous est connu, c’est un homme rempli d’honneur, de noblesse, d’esprit et de grâces. Adieu, monsieur, recevéz toujours avec bonté l’assurance de mon tendre et invariable attachement.

L.

Sur ce qu’on apprenait à Beaumarchais que plusieurs de ses juges avaient opiné pour les galères, il a dit: j’aime mieux être pendu que d’être marin.