Paris 13 Janvier 1739
Je Vais, Monsieur, vous éxpliquer les Enigmes qui vous ont embarassé dans la Voltairomanie.
Le Thersite de la Faculté est le Médecin Procope, Frère de ce Procope qui tient un Caffé vis à vis de la Comédie Françoise. Il est vray que le Médecin Procope est un très villain Monsieur; il est tout bossu, tout contrefait & a le visage d'un singe. Il a quelque réputation d'ésprit, mais il posséde un charme auquel celuy de l'ésprit même est obligé de céder, près de la plus part des Femmes. Par ce charme tout villain qu'il est il a trouvé les moyens de se fourer dans le monde, il a eû plusieurs bonnes Fortunes & est aujourduy Veuf de sa troisième femme, qui étoit une femme riche & de condition & s'il en trouvoit une Quatriéme je crois ou Dieu me pardonne que n'eût-elle que quinze ans ils l'enterreroit encor; en un mot c'est un des plus rudes abbatteurs de Quilles.
L'Abbé Des Fontaines l'apelle double bâtard d' Apollon parcequ'outre qu'il est Médecin il se mêle aussi de faire des vers. Il y a quelques années qu'il donna une mauvaise Pièce aux italliens & il est vrai que s'il n'étoit pas plus grand Docteur en Médecine qu'en Poësie, il mériteroit assés l'Epithète de double bâtard d'Apollon. Ce qui luy a vallu ce trait, ce sont quelques Lettres que ce Médecin a écrites pour ses confréres & contre les chirurgiens & où il a attaqué l'Abbé Des Fontaines qui passe pour être leur scribe & qui est fort Ami de Petit le chirurgien.
Le Petit Cyclope c'est Boissy. Vous connoissés le Pélerin. L'Abé l'apelle Cyclope parce que, quoiqu'il ait deux yeux, il n'en a qu'un de bon. On vient d'imprimer un Receuil de ses Oeuvres en sept ou huit volumes & je ne sais trop si le Libraire y trouvera son compte.
L'Autheur des Oeuvres mêlées, c'est Mr L'Abbé Nadal dont on vient de réimprimer les Ouvrages en 3 vol. in 12, autre entreprise assés téméraire, si le Libraire l'a fait à ses depens; car éxcepté sa Tragédie de Saul ou il y a quelques beautés, je ne connois rien de luy qui ait un certain mérite.
Cet article me mène tout naturellement à vous parler de ce Médus tant annoncé & qu'on joüa hier de la façon la plus mistérieuse. On avoit affiché Phèdre & Hippolite, & sous main l'on avoit répandu que l'on joûroit la Pièce nouvelle. Ce qui fut fait. L'Autheur qui jusqu'ici a gardé l'Anonyme à je crois de nouvelles raisons de ne se pas déclarer par le peu d'impression que sa Piéce a faitte sur le Public. Je ne sais moi même à qui l'attribuer: plusieurs personnes qui croyoient qu'elle étoit de moy avant qu'on la joüat, m'ont rendu la justice de ne m'en plus soupçonner après l'avoir entendüe. J'en fais de même & suis bien sûr à présent qu'elle ne peut être ni de Voltaire, ni de La Chaussée, ni de Pyron, ni de La Grange même: elle est assurément de quelque nouvel Autheur, ou bien de quelque médiocre comme Morand, Richer, Deschamps &c. Je ne sais même si ce ne seroit pas quelque Tragédie de Cour, car l'Ouvrage en question est bien foible & bien destitué d'invention. C'est une Rapsodie de toutes les autres Tragédies & surtout de l'Amasis de La Grange & de l'Oreste & Pylade du même Autheur. Il n'y a ni intérêt, ni conduitte & très peu de beautés de détail. Médée, le rolle principal, Médée même n'y est pas terrible, elle y fait la fonction de Prêtresse de Diane, en un mot c'est la Copie d'Iphigénie.
Pour que vous puissiés juger de quelle manière l'Autheur a imité les beautés des grands Maitres dont il a cherché a enrichir sa Pièce, vous vous rapellés ce vers de Corneille si sublime en son genre
Dans cette Piéce-ci on fait à peu près la même interrogation à Médée & elle répond L'Audace. Aussi le Public n'a fait que rire, lors que l'Autheur se flattoit de le faire trembler. Mais en voilà assés sur cette Piéce.
Je n'ai point encor vu la Traduction de la 3e Elégie des Tristes d'Ovide, je la verrai & m'informerai de qui elle est.
Saurin le Fils n'a pas voulu donner son désistement ni faire aucun accomodement avec Rousseau: il avoit d'abord donné sa parole d'honneur de le laisser tranquille & vouloit s'en tenir là: mais à force de sollicitation on a tiré de luy un écrit qu'il m'a dit être conçu en ces termes ou à peu près. ''Je consens & promets de ne jamais poursuivre le Sr Rousseau pour les Domages & intérêts où il a été comdamné envers mon Père & cela uniquement à [la] considération de Mr le Comte du Luc & sans qu'aucune autre raison m'y ait porté. Saurin &c.''
Il est tems de finir cette longue Lettre où je vous ai rendu peut être tout l'ennuy que j'ai reçu à la Tragédie de Médus.
*Hémistiche qui revient assés souvent dans cette Piéce.
Je suis, Monsieur, avec les sentiments les plus respectueux
Votre très humble & très obéïssant serviteur
l'Abé Le Blanc