1740-01-29, de Jean Bernard Le Blanc à Jean Bouhier.

Je commencerai, Monsieur, ma Lettre par une mauvaise nouvelle.
Mr le Duc est mort & avec lui sont mortes les petites ésperances de fortune que je pouvois avoir. On ne sait encor rien de son Testament, ni des Dispositions de la Cour à l'égard du Gouvernement de Bourgogne& de la Charge de Grand Maitre de la Maison du Roy. Mr le Duc d'Orléans qui n'aimoit pas Mr le Duc en énnemi génereux a dit qu'il ne vouloit pas dépouiller son héritier; mais on prétend que Mr le Prince de Conti se remüe fort pour avoir l'une de ces deux places. Peut être aussi sont-ce là des discours de Paris.

Vous avés prédit de la destinée d'Edoüard III par la mauvaise opinion que vous en avés eû. C'est avec quelques beaux vers une aussi mauvaise Tragédie que j'en aïe encor vu de ma vie. Aussi malgré les Chaunes & les Picquigny qui la protégent, la Piéce est tombée, & ils ont beau dire que c'est un chef d'oeuvre, personne ne veut l'aller voir.

Mahomet ne paroit pas encor, mais en attendant le seigneur Aroüet nous a lâché une Tragédie au dessous de tout ce qu'il a donné jusqu'ici. C'est Coligny ou le Massacre de la S t Barthelemy. Cette Piéce comme son Jules César, est en trois actes. Je l'ai lüe, c'est à proprement parler une Rapsodie de tous les mauvais vers qu'il a faits en composant la Henriade; en un mot, ce sont les rognures de ce Poëme. Il a achevé de se soulager de tout ce qu'il avoit encor sur le coeur contre la Cour de Rome. Il y a peint le Cardinal de Lorraine sous le nom d'Hamilton, Curé de St Cosme. Il a choisi de propos délibéré un Tavanes pour le mettre à la tête d'une des Troupes de scélérats qui viennent assassiner Coligny. [Je ne cr]ois pas qu'il y ait au monde de fo[us comme] cet homme la. Per fas aut nefas il v[eut] faire parler de luy, & s'il n'eut pas reçu du ciel des Talents pour aller à la Reputation, il eut tout tenté, tout risqué pour s'en faire une.

Il est difficile de donner un nom à la place qu'a Maupertuis; ni la cour qui la luy a donnée, ni luy qui la possède n'en ont encor pu trouver un. Il est chargé de dresser les cahiers que l'on doit enseigner dans toutes les Ecoles de Marine, où l'on instruit les jeunes gens dans l'Art de la Navigation, & cela s'apellera je crois, Maitre des classes, mais de quelque façon que l'on nomme cette Place, je dirois volontiers à Maupertuis,

Prenés le Titre & laissés-moi la rente.

Je suis toujours, Monsieur, avec l'estime la plus respectueuse,

Votre très humble & très obéissant serviteur

Le Blanc