Le 20 may 1740
Mon adorable ami j'ay eu cent affaires, j'ay fait des voyages de Campagne, enfin je n'ay pas été à moy mesme puisque je n'ay pas fait réponse plus tost à vostre Lettre charmante, à vostre Lettre pleine de sentiment, de grâces, et de promesses.
Envoyés donc mon tendre maitre, envoyés ces Richesses inépuisables de vostre Coeur et de vostre esprit à leur plus sincère adorateur, [?rompés] moy toujours par vos présens. Quelque vaste idée que j'aye de vostre génie et de vostre magnificence, vous m'étonnés et vous me ravissés toujours. C'est le propre du neuf et du sublime, mais rien ne me surprend plus, il faut bien avec vous croire tout possible; j'attends tout du dieu du goust et du sentiment.
Je n'ay jamais pensé après La lecture que j'en ay faite que les dialogues de Coligny sous le titre de Tragédie fussent de L'inimitable autheur de la Henriade. Je voyois le titre, je vous connois, je croiois qu'il n'étoit permis qu'au Rembrand de La st Barthelemy d'en varier les Tableaux. Je n'ay trouvé qu'une pitoyable imitation d'un excellent original, il n'y a ny précision, ny grâce, ny caractère, ny vérité. Hamilton est un vil prestolet qui jure dieu et Coligni, un misérable gentilastre, assommé par La Canaille dans son château. Le sr. Darnaud, son autheur, qu'on m'avoit nommé deux jours après, ne relevera jamais La parti protestant, je Le crois aussi incapable d'hérésies que de bonnes tragédies.
Enfin donc je deviendray Phisicien, Venus l'ordonne. J'atends avec une impatience infinie Les Leçons de La sublime et charmante Emilie. Ce doux, ce persuasif, ce je ne sçais quoy de tendre et d'insinuant qui caractérise l'Eloquence des dames aura coulé jusques sur Les discussions sèches de La Phisique. mde La m. auroit été un de nos plus grands hommes, mais quel domage qu'elle n'eût pas été une de nos plus aimables femmes.
Et vous mon adorable maître vous m'allés donc régaler de ces bonbons Poëtiques, de ces charmantes pièces fugitives qui envoyent Chapelle et Chaulieu chés la Bernière et qui portent dans toutes les cours où l'on lit L'idée charmante et juste de nostre galanterie françoise. Je vais lire dans vostre histoire Les commencements et Le progrès de ces arts dont je vois La perfection dans vos ouvrages. Vous me mènerés par La main dans Les Labirinthes de Leibnits et de Neuton. Vous m'aprendrés à penser, mais jamais je n'auray besoin de leçons pour sentir et pour vous aimer. Que je vais estre touché de vos deux tragédies! J'aime à vous y voir attendri, j'y sens un singulier plaisir à croire que vostre âme si tendre en est plus capable de m'aimer.