1759-08-19, de Jean Bernard Le Blanc à Germain Gilles Richard de Ruffey.

Je ne vous écris aujourdui, Monsieur, que pour me renouveller dans le souvenir d'un ancien Ami.
Si Mr Michault m'eût plustôt averti de son départ, je me serois fait un plaisir de m'entretenir avec vous & de causer un peu Littérature, car je ne me mêle guère de politique, & d'ailleurs, la Guerre, le commerce, les Finances, tout est aujourdui dans un état si affligeant, que l'unique parti de tout bon citoyen doit être de gémir & de se taire. J'ai pourtant une nouvelle à vous aprendre, mais que vous saurés avant que de recevoir ma Lettre & qui vous aura fait grand plaisir: Mr le Maréchal d'Etrées est parti ce matin pour l'Armée & sera dans cinq jours à Cassel. J'en ai fait mon compliment à Mr De Montmirel son neveu qui part avec lui.

Voici une autre nouvelle de la République des Lettres que je vous prie de communiquer à Mr le Président de Brosses en lui faisant bien des compliments de ma part. Votre ami le célèbre Mr de Voltaire ne voulant pas s'en tenir aux Titres Poëtiques, sans s'adresser au Roi, à l'Empereur ou à aucune autre Puissance de l'Europe, de sa propre autorité vient de se créer Comte de TOURNAI. Il a pris cette qualité dans plusieurs Lettres, Ce pourquoi on lui a donné ce titre dans une Brochure qui n'a de remarquable que cette singularité. Elle est intitulée ainsi

Receuïl de quelques Pièces nouvelles de Mr de Voltaire, Comte de TOURNAI, à Genêve aux dépens de Mr Le Comte, 1759.

On en rit beaucoup à Paris & je crois que vous n'en rirés pas moins à Dijon. Vous voyés qu'il s'en faut de beaucoup que l'âge le rende sage, & qu'il étend plus loing que jamais ses licences Poëtiques.

Mr Michault a bien voulu se charger d'un Receuïl d'Antiquité gravées que je n'ai pas jugé indigne d'entrer dans votre Bibliotèque. Il pourra contribuer à vos amusements & c'est à ce titre que je vous prie de le recevoir car je sais qu'il seroit difficile de rien ajouter aux lumières que vous avés dans ce genre de Littérature. J'ai vû avec soin cette collection & je puis vous assurer que les Gravûres sont fidelles.

Aimés-moi toûjours un peu & soyés persuadé qu'on ne peut être avec un dévoûment plus entier & plus respectueux que je le suis,

Monsieur,

Votre très humble & très obéissant serviteur

L'Abbé Le Blanc