D'Anet le 18 7bre 1746
Hé bien, Mon cher Ami, Comment Mr l'Abbé de La Ville s'est-il tiré de son Discours?
A-t'il parlé en son nom avec autant de dignité & de force qu'il a fait quelques fois parler le Roy? Vous me ferés grand plaisir de voulloir bien m'en dire des nouvelles.
Je serois bien aise aussi de savoir quel succès Melle La Balle a eû à son début, & cela, je puis vous l'assurer, uniquement par l'intérêt que vous y pouvés prendre. Vous croirés peut être que c'est à cause de son jolli visage, mais je suis bien aise de vous avertir que quelque jolli qu'il soit, nous en avons ici qui vallent bien le sien. Je répète un Rolle de Comédie à une demoiselle qui ne fait que sortir de St Cir. Si vous la voyiés, la tête vous en tourneroit, je vous en avertis, & cependant j'en connois peu d'aussi bonne que la vôtre.
J'ay beaucoup entendu parler ici de Mr De Voltaire & de Mme Du Châtelet & ne suis point du tout fâché de m'y être pas rencontré avec eux. Ils ont fait à leur ordinaire les Philosophes ou les fous tout Comme vous le voudrés, ils étoient toûjours tête à tête.
L'une & l'autre ont toûjours dédaigné le vulgaire:
Mme la Duchesse du Mayne a rétabli Sorel, un ancien Château que Mr de Vendôme aimoit beaucoup, elle les y mena touts deux, le lendemain Mr De Voltaire luy présental les vers que voici.
Comment trouvés-vous Ce dernier vers & le Compliment n'est-il pas tout à fait ingénieux?
Le jour que l'on fut à Sorel est ce jour où le Soleil masqué par un brouïllard fort élevé parut si rouge. A ce sujet encor Mr de Voltaire a fait le Madrigal suivant pour son Altesse, & il est bon de vous dire que C'est un impromtu.
Je n'ai point trouvé ici Mme du Déffans comme je l'avois espéré. Je luy ai écrit une Lettre fort préssante pour la prier de parler à Mr le P. Hénaut aux fins dont nous sommes Convenus. Au surplus je me recommande à vous & aux Amis que vous avés à l'Académie. N'en est-il pas avec qui vous puissiés Conférer & que vous puissiés engager à me servir? Quand mon Compétiteur n'auroit pas touttes les voix, il ne luy en arriveroit aucun mal, & à moy beaucoup de bien. N'auriés-vous pas des moyens de vous assurer de l'Abbé Alary? Si Mr l'Archevêque de Sens venoit à l'Election, & qu'on luy parlât de moy peut être me donneroit-il la préférence sur Du Clos. Pour Mr l'Evêque de Mirepoix, il m'a assuré de sa bienveillance, mais sûrement il ne s'y trouvera pas.
Adieu, Mon cher Ami, quand pourrai-je dire mon cher Confrère? Je vous embrasse de toutte mon âme, & suis avec un attachement inviolable,
Votre très humble & très obéissant Serviteur
L'Abbé Le Blanc
A Anet par Dreux